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01-2019

Marie-Theres WackerHomme sauvage et femmes étrangères. Le Cycle d’Élie (1 R 17- 2 R 2) en perspectives de « genre » / gender (III): La reine étrangère et l’homme prophétique - féminisme, genre et post-colonialisme.

Abstract:

Building on a former contribution (lectio 2/2014) on the Elijah cycle (1 Kings 17 – 2 Kings 2) read with different approaches of a gender-sensitive exegesis, this article explores how postcolonial approaches change or sharpen an analysis of the Elijah story, especially relating to 1 Kings 21. Following a short introduction to the most well-known founders of postcolonial theory (Fanon, Said, Bhabha, Spivak) and some reflections on the reception of postcolonial studies in biblical studies/OT studies, a first reading of 1 Kings 21 focusses on land grabbing, whereas a second reading concentrates on the figure of Jezebel and analyses 1 Kings 21 within the context of 1 Kings 16,29-34 – 2 Kings 2,14. The present contribution is an expanded version of the third lecture delivered as a visiting professor at the École Pratique des Hautes Études in Paris (spring 2014). [1]

Dans mes relectures du cycle d’Élie sous des perspectives féministes, ensuite précisées par des aspects de genre, et dans les prismes des « men’s studies », « masculinity studies » et « queer studies » [2], j’ai en grande partie omis de parler de la figure de la reine Jézabel, qui en est pourtant une des principales protagonistes, et des textes la concernant, en particulier 1 Rois 21. En effet, pour aborder ce sujet de façon appropriée, il me paraît utile d’élargir les perspectives offertes par les études féministes et les études de genre par des approches dites postcoloniales et par les sensibilités qui en résultent. Dans ce qui suit, je donnerai, dans un premier temps, une brève introduction au post-colonialisme en présentant ses principaux·les théoricien·ne·s [3]. Ensuite, je montrerai en quelques grandes lignes ce que les études postcoloniales peuvent apporter à l’exégèse biblique. Sur cette base, j’offrirai une lecture du récit de la « vigne de Nabot » (1 Rois 21), et une analyse de la figure de Jézabel dans le cycle d’Élie.

1. Fondateur·rice·s des théories du post-colonialisme

1.1 Frantz Fanon

Dans le domaine francophone, il faut sans doute commencer par évoquer Frantz Fanon, né en 1925 en Martinique, une des Petites Antilles, colonie française depuis 1635 [4], de nationalité française, de peau noire, psychiatre passionné par la philosophie et admirateur de Jean-Paul Sartre. Fanon a fait ses études de médecine en France (à Lyon), et son premier livre, Peau noire, masques blancs, publié en 1952 [5], est une analyse sociologique, psychologique et, pour ainsi dire, existentialiste de l’être colonisé, la première de ce type. Une place importante est attribuée au regard dans ce travail : le colonisé se trouve constitué sous le regard ou à travers le regard du colon. Un deuxième livre de Fanon décrit ses expériences pendant la guerre d’Algérie et son travail à l’hôpital où il soignait des gens traumatisés par la guerre, s’étant mis du côté de la résistance algérienne contre les colonisateurs français [6]. Le livre est remarquable aussi du point de vue des études de genre : l’auteur y livre des observations et des réflexions sur le code des vêtements perçu par le regard orientalisant, en particulier sur le voile des femmes.

Fanon est mort en 1961, à trente-six ans, d’une leucémie ; pendant ses derniers mois de vie, il a écrit son livre Les damnés de la terre [7]. Il y reprend consciemment un motif de l’Internationale marxiste et le rapporte non pas à la classe ouvrière, mais aux peuples colonisés. Dans son œuvre et dans sa vie il unit les deux grandes tendances que l’on trouve dans les études post-coloniales :  d’une part, l’analyse des conditions sociales, économiques et politiques qui tient compte de la violence concrète vécue par des colonisé·e·s et qui met en valeur le rôle inéluctable de la violence sur le chemin d’une libération ; d’autre part, l’analyse des effets de la colonisation dans le cadre des études culturelles (« cultural studies »), c’est-à-dire qu’il s’agit de s’intéresser aux constructions de la réalité à travers la langue, aux mécanismes psychiques qui accompagnent la formation de l’identité, aux hégémonies construites par le système sexe-genre et  par les différences ethniques ou raciales, et de s’intéresser enfin aux formes de violence inhérentes à ces constructions.

1.2 Edward Said

L’horizon final de Frantz Fanon était la révolution, la lutte organisée des « damnés de la terre », des peuples colonisés, déshumanisés, vers un avenir qui leur permette de vivre comme des êtres humains. Cependant, c’est le premier ouvrage de Fanon, Peau noire, masques blancs, qui a fait l’objet d’une redécouverte, notamment dans le contexte des études culturelles. C’est déjà le cas avec les travaux de celui à qui l’on attribue le début des études dites post-coloniales, l’auteur palestinien, professeur de littérature aux États-Unis, Edward Said. Said se sert du terme d’« orientalisme » pour désigner les constructions culturelles de l’Orient par l’Occident, en particulier celles émanant des puissances européennes [8]. Le regard orientalisant se manifeste au sens littéral du terme p. e. dans les peintures d’un Delacroix, d’un Ingres, ou d’un Chassériau, mais aussi dans des productions considérées comme scientifiques. Un bel exemple en est la construction d’un Canaan voluptueux par l’exégèse classique qui repose elle-même sur une élaboration biblique qui correspondait déjà au besoin de construire une figure de l’altérité qui fût en opposition à l’identité d’Israël. On peut donc reprendre la figure du regard : l’Occident a construit l’Orient comme son Autre ; le colon construit le colonisé de la même façon, et le colonisé n’échappe pas à ce regard, il s’y adapte : qu’il se sente inférieur, ou qu’il tâche de s’assimiler au colon, d’adopter sa langue, ses habitudes, sa pensée – Fanon décrivait déjà cette expérience par l’image évocatrice du masque. L’approche postcoloniale met le doigt sur le fait que cette formation coloniale des colonisés devient une deuxième nature qui ne disparaît pas spontanément dès qu’un peuple accède à l’indépendance politique. Le préfixe post- désigne donc autant la dimension temporelle que la dimension structurelle : il s’agit de surmonter les structures qui enchaînent le colonisé au colon et vice versa.

1.3 Homi Bhabha

À côté de Said, deux autres grand·e·s théoricien·ne·s du post-colonialisme se trouvent régulièrement cité·e·s, associé·e·s à des concepts clés : Homi Bhabha, né en 1949 à Mumbai en Inde, d’origine parsie, professeur à l’université de Harvard, qui a, à son tour, relu et développé Fanon [9]. Le concept de masque,  par exemple, devient le concept de mimikry, aux multiples facettes [10]: lorsque le colonisé s’adapte au colon, s’il s’efforce de l’imiter, le colon, de son côté, pourra interpréter cela comme une menace à l’encontre de son hégémonie ; l’imitation du colon par le colonisé ne réussit jamais de façon parfaite, ce qui pourrait faire du colonisé une caricature risible du colon ; si cependant le colonisé s’en rend compte et commence à jouer avec cette différence, il gagne un espace pour agir de manière active, voire résistante. Au concept de mimikry sont associés ceux d’hybridité et de thirdspace : l’identité hybride célèbre la complexité et la fluidité et, pour rester dans la lignée de Fanon, ne se voit plus forcée de cacher sa peau noire derrière un masque blanc, mais en fait émerger quelque chose de neuf ; le « troisième espace » constitue un lieu de négociations culturelles, qui comprend des stratégies de résistance rusées ; ce dernier se situe au-delà des paires binaires du ou bien/ou bien, du oui/ non, du pour/contre.

1.4 Gayatry Chakravorty Spivak

La deuxième théoricienne qu’il faut mentionner ici est Gayatri Chakravorti Spivak, indienne née sous l’empire britannique (1942) et professeur à la Columbia University. Son étude « Can the Subaltern Speak? »  – « Les subalternes peuvent-elles parler ? » est devenu un texte fondateur des études postcoloniales [11]. Il s’agit en grande partie d’une critique philosophique de la raison occidentale – de Kant et Hegel jusqu’à Foucault, Derrida et Deleuze – que l’auteure considère indissolublement liée aux intérêts économiques de l’Occident et prisonnière de son l’eurocentrisme. Dans le même temps, elle emprunte à ces auteurs des modes de pensée et d’articulation, en particulier le concept deleuzien de « rhizome », ce qui peut rendre ses textes, comme ceux de Bhabha d’ailleurs, d’un abord difficile. Avec la critique de la raison occidentale vient la critique des constructions de l’Inde dans le discours occidental (elle s’inscrit donc, à son tour, dans le sillage de l’œuvre de Said). Elle recourt à l’exemple de la tradition du sati, lorsque les veuves indiennes se donnent la mort par le feu, pour mettre en évidence la réaction des autorités coloniales britanniques : cette tradition se voit attaquée, sans qu’aucune attention ne soit portée à celles qui étaient prêtes à la pratiquer. Ces femmes réduites au silence deviennent le modèle des « subalternes », terme emprunté au théoricien italien marxiste Antonio Gramsci, qui désigne des personnes qui ne sont pas capables de s’affirmer face au pouvoir hégémonique, ni sur le plan politique, ni sur le plan social, souvent contraintes par leur simple situation géographique. Gayatri Chakravorti Spivak adopte donc une perspective féministe, plutôt une perspective genrée, quand elle appelle à rendre visible et à analyser ceux et, surtout, celles qui sont soumises par les colons comme des sexed subaltern subjects, « subalternes sexé·e·s » – « sexé » est à distinguer de « sexualisé ». Spivak compare la colonisation à un viol ; elle met ainsi en relief la violence et les violations impliquées par cet acte politique et culturel qu’est la colonisation, et cherche en même temps à y trouver des ressources pour y survivre et vivre.

2. Études postcoloniales – études bibliques [12]

2.1 Pourquoi une exégèse postcoloniale ?

Pourquoi, en exégèse biblique, s’engager dans les théories du post-colonialisme ? Une première motivation s’impose d’emblée : en tant qu’exégète, il est important de prendre conscience de ses « orientalismes », lorsqu’on (re)construit le monde de la Bible et qu’on lit les textes bibliques. Mais cela va plus loin, et la raison majeure est aussi claire que pénible : l’histoire du colonialisme et celle de la mission chrétienne sont inextricablement liées. Loin d’empêcher le colonialisme à l’enseigne chrétienne, la Bible l’a même, dans certains cas, encouragé. Les textes de la Bible, de l’Ancien comme du Nouveau Testament, ont contribué à justifier l’occupation de terres lointaines, de soumettre et de dé-nigrer (quelle métaphorique…) leurs peuples, d’exploiter leurs ressources naturelles. Dans la mesure où la Bible était un instrument puissant aux mains des colons, la grande question se pose de savoir si, ou comment, elle peut être, rester, ou redevenir une source de foi en Dieu. Il est vrai que, pour beaucoup de chrétien·ne·s originaires d’un pays marqué par la colonisation, la Bible reste un fondement précieux de leur foi, qui ne saurait être si facilement rejeté. Il faut donc interroger cette littérature qui a acquis un statut normatif dans le christianisme et dégager les structures textuelles qui ont rendu possible ou favorisé des réceptions qui servent l’intérêt du colonialisme.

2.2 Études postcoloniales bibliques à trois niveaux

Toutefois, l’intérêt ainsi esquissé pour une histoire de la réception – un intérêt que Rasiah S. Sugirtharajah, l’exégète probablement le plus influent, né au Sri Lanka, professeur à Birmingham, a poursuivi dans plusieurs de ses livres [13] – ne marque qu’un point de départ. La Bible reste considérée Écriture Sainte dans le christianisme (et, pour la Bible hébraïque, dans le judaïsme) ; elle est toujours proclamée dans la liturgie, enseignée et citée comme source de prescriptions morales et de vérités de foi, même d’orientation politique. Les structures textuelles qui ont rendu possible leur emploi colonial risquent de continuer à provoquer des réceptions similaires. Il faut engager une « décolonisation » des textes, accompagnée des démarches destinées à les éclairer à l’aune d’une lecture « postcoloniale ». Ce  défi ne concerne donc pas seulement ceux ou celles provenant d’un pays jadis colonisé – d’Afrique, d’Asie, d’Amérique centrale et du Sud, d’Australie, d’Océanie – mais aussi les descendants d’anciennes puissances coloniales, d’autant plus que, si l’on en croit des exégètes comme Rasiah S. Sugirtharajah, Fernando Segovia [14], Cubain d’origine, professeur émérite de N.T. à l’université de Vanderbilt, Nashville (É.-U.), et Musa Dube [15], professeure de N.T. à Gaborone (Botswana, ancienne colonie britannique en Afrique sub-saharienne), parmi d’autres, nous connaîtrions aujourd’hui une situation de néo-colonialisme, mieux : d’« Empire », une forme de colonialisme aux dimensions globales. En acceptant le cadre principal d’un tel positionnement, des membres d’ethnies minoritaires surtout en Amérique du Nord ont lié les études postcoloniales aux « études minoritaires [16] » ou encore « études de diaspora [17] », implantant des lieux et des sujets spécifiques pour une relecture de la Bible. Un exemple parlant en est la lecture « américaine-asiatique » du récit en 1 Rois 21 par Gale A. Yee, états-unienne d’ascendance chinoise, qui, tout en présentant des éléments d’exégèse du texte biblique, y associe des souvenirs de l’histoire sino-nipponne du 20e siècle et des réflexions sur sa propre localisation dans ce champ [18]. Toutes ces études se situent dans un domaine vaste et en mouvement continuel de théories en sciences humaines et sociales dont un dénominateur commun pourrait résider dans l’identification toujours ouverte d’exclusions ; elles s’inscrivent donc dans un mouvement fondamental de déconstruction.

L’exégèse postcoloniale ne se réduit pourtant pas aux relectures d’un texte biblique à partir de situations contemporaines, même si ces relectures occupent une place prédominante ; elle s’intéresse aussi aux textes et à leur situation dans leurs contextes historiques. L’histoire de l’Israël ancien était, pendant des siècles, l’histoire d’un peuple colonisé – par les empires assyrien, babylonien, perse, hellénistique et romain. On pourra donc présumer que les textes de la Bible reflètent ces conditions et qu’on y trouve des structures et des sujets typiques. Il y a des textes, voire des livres entiers, qui se prêtent d’emblée à une analyse historique postcoloniale. Pour le Nouveau Testament, ce sont certainement les évangiles synoptiques, mais aussi les lettres de Paul, qui sont en prise directe avec l’Empire Romain [19]. Pour l’Ancien Testament, la situation est plus complexe, parce que la datation des textes est souvent controversée, mais p.e. le livre de Jérémie [20], ou celui d’Esther [21] se situent en conflit – et en négociation – avec les empires de leur temps. Le commentaire postcolonial du N.T. édité par Sugirtharajah et Segovia (2007) s’efforce de commenter tous les livres du Nouveau Testament [22] ; le volume correspondant édité récemment par Hemchand Gossai (2018), le premier en son genre, ne couvre pas (encore) la totalité de l’Ancien Testament [23] ; il montre cependant l’extrême diversification des études dites postcoloniales en exégèse biblique, qui ne prennent pas toujours pour point de départ immédiat le texte biblique dans son contexte historique, mais mettent souvent en parallèle des motifs ou structures des textes bibliques avec les littératures et cultures contemporaines. Par ailleurs, les auteur·e·s oscillent entre des postures « de dénonciation/contre-écriture et/ou d’acceptation/jeu/réinven­tion » [24].

2.3 Postcolonialisme et genre en études bibliques

Partout dans le monde, des exégètes féministes et celles et ceux qui lisent la Bible avec des perspectives de genre ont, au cours des vingt dernières années, intégré certaines perspectives postcoloniales dans leur travail. À cet égard, il convient tout d’abord de faire mention de Musa Dube. Née au Botswana, elle a fait ses études bibliques en Angleterre et aux États-Unis. Son premier livre, sa thèse de doctorat intitulée « Postcolonial Feminist Interpretation of the Bible » (2000) [25], est devenu tout de suite une référence. Sur la demande du Conseil Œcuménique des Églises, elle a entrepris une interprétation du Nouveau Testament en entier dans l’horizon de HIV/SIDA ; il s’agissait à ses yeux d’un travail émanant de sa localisation dans un contexte particulièrement frappé par cette pandémie [26] et d’une conséquence pratique de ses options postcoloniales [27]. Elle s’engage aussi pour que les recherches en exégèse africaine, qu’elles soient affiliées aux études féministes [28], ou aux études postcoloniales, gagnent en visibilité auprès de la communauté internationale des exégètes [29] : les subalternes parlent, pour ainsi dire, et c’est aux discours hégémoniques de ne plus les étouffer. Dans ses analyses, elle recourt, on l’a dit, aux notions d’ « Empire » / « impérialisme » ; le modèle en est l’Empire Romain (et les États-Unis). En effet, aux États Unis les « Empire studies », études de l’impérialisme, se sont développées à côté des « postcolonial studies », encore que les « Empire studies » sont peut-être plus sensibles aux aspects « matérialistes » du sujet [30], lequel englobe les sphères politique, sociale, économique, culturelle ainsi que – Musa Dube insiste là-dessus [31] – écologique. Mais les concepts et les termes sont devenus flous là aussi ; l’on ne trouve pas toujours de distinction stricte entre « Empire / impérialisme » et « colonisation / colonialisme ».

Musa Dube a développé une série de questions à poser à un texte biblique pour une analyse postcoloniale, des questions qui couvrent une bonne partie des réflexions théoriques que je viens d’esquisser :

  1. Comment le texte se situe-t-il vis-à-vis de l’impérialisme politique de son époque ; y résiste-t-il clairement (ou soutient-t-il le pouvoir en place) ?
  2. Le texte parle-t-il de la prise de territoires éloignés ou vides, est-ce qu’il en donne des justifications, et lesquelles ?
  3. Comment le texte construit-il la différence ? Dans le dialogue et l’interdépendance, ou plutôt la substitution ou la condamnation de tout ce qui est étranger ?
  4. Le texte se sert-il de représentations genrées pour exprimer des relations de soumission ou domination? [32]

La première question envisage les structures de pouvoir politique telles qu’elles sont représentées par le texte ; elle demande si une résistance s’exprime dans le texte, si le texte prend parti. La deuxième se réfère au mouvement colonialiste, mouvement géographique et en même temps mouvement d’appropriation. Aller dans un terrain loin et vide correspond à l’idéologie des colons, car, si les territoires n’appartiennent à personne, l’on peut s’en emparer légitimement. Mais il faut immédiatement ajouter que les pouvoirs coloniaux ont construit leurs territoires comme vide ou non habités, en négligeant les peuples indigènes et les structures de possessions qui préexistaient. Quelle est la position du texte biblique envers un tel mouvement colonialiste et comment le texte prend-il position ? La troisième des questions introduit l’approche fondamentale de toutes les études « post- » qui s’intéressent à des perspectives qui entendent ne pas se réduire à une simple dichotomie ou binarité. Le texte propose-t-il une alternative à la confrontation, la hiérarchie, la domination et la soumission afférente ? La dernière question recourt explicitement à la catégorie du genre, qu’elle situe sur le plan littéraire.

Ces questions qui, d’après Musa Dube, valent aussi bien pour l’analyse d’un texte biblique dans son contexte historique que pour une exégèse strictement orientée vers un·e lecteur·rice contemporain·e, pourront servir de guide ; je les garde en arrière-plan pour aborder maintenant 1 Rois 21.

3. Vol de terre et meurtre – une première lecture de 1 Rois 21

Un objet fondamental pour une lecture de la Bible d’un point de vue postcolonial est celui du territoire, du terrain, de la terre, la question de la possession, des droits, mais aussi simplement celle d’une vie satisfaisante, heureuse, sur un lopin de terre cultivable. Le titre traditionnellement donné à 1 Rois 21, « La vigne de Nabot », signale qu’il s’agit d’un récit tournant autour d’un terrain, ce qui est confirmé d’emblée, car le passage s’ouvre avec le nom « vigne », immédiatement après l’indication temporelle qui assure une liaison souple avec ce qui précède : l’attention porte sur le sujet de la « terre ». Il est question d’une prise de territoire, d’un mouvement d’appropriation d’un territoire. Ce territoire n’est pas un territoire lointain, comme le pays de Canaan pour les esclaves israélites réchappés du joug égyptien, sujet devenu classique en exégèse postcoloniale [33] : il s’agit au contraire d’une terre située à proximité, placée sous la possession d’un tiers. Le texte biblique, on peut déjà le préciser, confronte le désir d’un souverain et le refus d’un subalterne (subalterne pour l’instant en sens classique d’un sujet dans une monarchie) dont l’enjeu est un terrain. [34] Le conflit raconté n’est pas spécifique à un contexte colonial, mais il présente des structures analogues, p. e. quant au respect, ou plutôt manque de respect, des colons envers des conditions traditionnelles de propriété souvent non codifiées par écrit. De plus, dans beaucoup de pays devenus indépendants, les problèmes concernant la répartition juste du territoire sont toujours vifs. Aussi le récit pourra-t-il avoir un sens pour éclairer une situation postcoloniale en sens chronologique-politique [35].

De nombreuses études historico-critiques relatives à 1 Rois 21 distinguent un récit ancien (21,1-16), intégré au cycle d’Élie en ajoutant, peut-être en plusieurs étapes, les vv. 17-29. Le style, le vocabulaire, les perspectives de ces ajouts sont telles qu’on songe à des provenances deutéronomistes. [36] Une variante de cette hypothèse considère 1 Rois 21, 1-20 (à quelques gloses près) comme un tout, actualisé par les vv. 21-29 [37]. Par ailleurs, on détecte en 1 Rois 21, 1-16 [38] ou 21,1-20 [39] un récit fictif composé à l’époque perse seulement. Dans la suite de mon propos, je lirai 1 Rois 21,1-29 comme unité narrative, tout en exploitant ces hypothèses pour nuancer ma lecture. En plaçant le roi comme figure centrale, le récit dirige l’attention du·de la lecteur·rice sur Akhab, une perspective que je vais suivre pour cette première lecture.

3.1 La vigne, le roi, le subalterne (1 Rois 21,1-3)

1 1 Et c’est après ces paroles, une vigne était à Nabot, l’Izre‘éli, en Izre‘èl, près du palais d’Ahab, roi de Shomrôn.

2 Ahab parle à Nabot pour dire: « Donne-moi ton vignoble. Ce sera pour moi un jardin de verdure ; oui, il est proche, tout près de ma maison. Je te donnerai à sa place un vignoble meilleur que lui. Si c’est bien à tes yeux, je te donnerai de l’argent, son prix. »

3 Nabot dit à Ahab: « Quelle profanation de IHVH-Adonaï !

Te donner la possession de mes pères ! »

וַיֹּ֥אמֶר נָב֖וֹת אֶל־אַחְאָ֑ב חָלִ֤ילָה לִּי֙ מֵֽיהוָ֔ה מִתִּתִּ֛י אֶת־נַחֲלַ֥ת אֲבֹתַ֖י לָֽךְ׃

Les trois premiers versets, l’exposition du récit, donnent la définition du problème : le roi désire la vigne de Nabot et il lui propose une transaction commerciale que Nabot refuse avec une formule très forte, semblable à une malédiction au nom de YHWH, en donnant une raison qui se fonde sur la tradition familiale ou tribale [40]. Le verbe « donner » (נתן) revient déjà plusieurs fois à travers ces versets : le roi demande de lui donner la vigne, et Nabot refuse de le donner.

Le·la lecteur·rice attentif·ve au problème des terres se demandera si le roi, lui-même Israelite, connaissait le contexte qui motive le refus vigoureux de Nabot. A-t-il cru pouvoir faire ignorer ou négliger cette tradition à son subalterne ? Est-ce là la raison qui lui fait offrir à Nabot un prix qui paraît plus qu’équitable ? Attend-il de Nabot qu’il se montre vénal, qu’il rompe sa solidarité de clan ? La réaction forte de Nabot concernerait alors non seulement le refus de l’offre du roi, mais aussi la tentation qui y était associée. Quoi qu’il en soit, il est d’emblée perceptible qu’il s’agit d’un récit sur le pouvoir du roi, sur sa capacité d’intervenir dans les structures établies de la propriété ; il est question de la construction du pouvoir royal et de son extension : un roi peut-il accroître son pouvoir jusqu’à une hégémonie qui réduit le peuple du pays au statut de subalternes, au sens d’assujetti·e·s, abandonné·e·s à l’arbitraire du souverain ? Ou existerait-il des lignes de démarcation que même un roi aurait à respecter ?

Du point de vue du genre, l’on notera que le récit envisage deux hommes en négociation, que la narration investit de pouvoir : tous deux portent un nom propre, qualifié par une indication géographique. À l’un d’eux toutefois est attribué le titre de « roi » et un « palais » (היכל ; v. 1 [41]), signes d’un rang supérieur. L’objet de leur négociation, le vignoble, porte une valeur métaphorique qui l’associe au désir érotique ou sexuel (Cantique 7,13), et au corps féminin (Cantique 1,14). La terre, le pays, représenté·e par une figure féminine ou tout simplement considéré·e au féminin, est un des sujets principaux du discours postcolonial ; on y reviendra.

3.2 Le roi, l’épouse, la royauté (1 Rois 21,4-7)

4 Ahab vient vers sa maison, se précipitant et fulminant [42], pour la parole que lui a dite Nabot, l’Izre‘éli. Il dit : « Je ne te donnerai pas la possession de mes pères. » Il se couche sur son lit, tourne ses faces et ne mange pas de pain.

5 Vient vers lui Izèbèl, sa femme. Elle lui parle: « Qu’est-ce ? Ton souffle est-il courroucé ? Tu ne manges pas de pain ! »

6 Il lui parle: « Oui, j’ai parlé à Nabot, l’Izre‘éli. Je lui ai dit : Donne-moi ton vignoble contre cet argent. Ou, si tu désires, je te donnerai un vignoble à sa place. Il dit : ‹ Je ne te donnerai pas mon vignoble ›. »

7 Izèbèl, sa femme, lui dit:

« Toi, maintenant, tu feras un acte royal en Israël.

TOB : Mais c’est toi qui exerces la royauté sur Israël!

BJ : Vraiment, tu fais un joli roi sur Israël!

אַתָּ֕ה עַתָּ֛ה תַּעֲשֶׂ֥ה מְלוּכָ֖ה עַל־יִשְׂרָאֵ֑ל

Lève-toi ! Mange le pain.  Que ton cœur soit bien ! Moi, je te donnerai le vignoble de Nabot, l’Izre‘éli. »

La scène suivante comprenant les vv. 4-7 montre Akhab et Jézabel en interaction. La réaction d’Akhab [43] est dépeinte comme marquée par l’émotion, exprimée par les gestes de son corps (v. 4), à la manière d’un petit garçon qui boude dans son coin, et non comme un homme incarnant la masculinité hégémonique, pour reprendre les catégories de Raevyn Connell [44]. La réponse de Nabot semble lui passer par la tête, résonner aux oreilles ; il semble que le roi a bien compris qu’il s’est heurté à un obstacle insurmontable quand Nabot a invoqué l’héritage de ses ancêtres.

Avec sa question adressée à Akhab (v. 5), Jézabel apparaît en épouse aimable [45], soucieuse du bien-être de son mari, voire comme une mère qui essaierait de consoler son enfant contrarié. Le verbe « donner » continue à jouer le rôle d’un mot-clé : à la fin du v. 7, Jézabel déclare que ce sera elle qui donnera à son mari ce qu’il désire. Sa parole au v. 7a contient au moins trois nuances différentes, exprimées par la diversité des traductions : le reproche ironique (BJ), le rappel comme motivation d’agir (TOB), la déclaration (Ch). Elle est présente et présentée, si l’on suit les catégories de David Clines, comme une femme à la parole persuasive et même performatrice [46].

Mais le portrait d’Akhab serait incomplet si on le réduisait à sa faiblesse ou son émotivité irréfléchie. Akhab n’a pas rapporté à son épouse toute la complexité du problème : ce n’est pas l’entêtement de Nabot qui l’a amené à refuser l’offre du roi, mais une raison que Akhab avait bien saisie et qu’elle devait reconnaître à son tour. Vu sous ce jour, le roi n’est pas tant l’homme qui contrôle mal ses émotions que le souverain rusé, sournois : son comportement se lit presque comme un appel à sa femme – c’est bien ainsi que Jézabel est désignée deux fois au cours de ce petit paragraphe (vv. 5.7) – ; Akhab attend de Jézabel qu’elle réagisse et qu’elle règle ses affaires pour lui. Il l’instrumentalise pour ses jeux de pouvoir.

3.3 Pouvoir royal et collaboration (1 Rois 21,8-16)

8 Elle écrit des actes au nom d’Ahab et les scelle de son sceau [=celui d’Ahab, MTW]. Elle envoie des actes aux anciens et aux hommes francs de sa ville, qui habitent avec Nabot.

9 Elle écrit dans les actes pour dire: « Proclamez un jeûne. Installez Nabot en tête du peuple.

10 Installez deux hommes, des Benéi Belia‘al (בְּנֵֽי־בְלִיַּעַל), contre lui. Ils témoigneront contre lui pour dire: Tu as ‹ béni › Elohîms et le roi. Ils le feront sortir, le lapideront et il mourra. »

11 Les hommes de sa ville, les anciens et les hommes francs,

qui habitent en sa ville, font comme Izèbèl le leur avait demandé, comme il est écrit dans les actes qu’elle leur avait envoyés.

12 Ils proclament un jeûne et installent Nabot en tête du peuple.

13 Viennent deux hommes, des Benéi Belia‘al. Ils s’installent contre lui. Les hommes de Belia‘al témoignent à l’encontre de Nabot, contre le peuple pour dire: « Nabot a ‹ béni › Elohîms et le roi. » Ils le sortent hors de la ville, le lapident avec des pierres et il meurt.

14 Ils envoient dire à Izèbèl: « Nabot a été lapidé. Il est mort. »

15 Et c’est quand Izèbèl entend que Nabot a été lapidé et qu’il est mort, Izèbèl dit à Ahab: « Lève-toi ! Hérite le vignoble de Nabot, l’Izre‘éli, qu’il a refusé de te donner contre argent; car Nabot ne vit plus; oui, il est mort. »

16 Et c’est quand Ahab entend que Nabot est mort, Ahab se lève pour descendre vers le vignoble de Nabot, l’Izre‘éli, et en hériter.

Aux vv. 8-16 Jézabel apparaît comme le personnage central derrière les évènements décrits. C’est elle qui donne des ordres aux hommes de la ville (vv.8-10) ; ses ordres sont exécutés (vv. 11-13) ; c’est à elle que l’on rapporte l’exécution à mort de Nabot (v. 14) ; c’est elle qui voit, qui définit plutôt, un lien entre la mort de Nabot et la prise de possession de sa vigne rendue possible pour le roi ; elle construit, pour le formuler d’un point de vue postcolonial, le territoire de la vigne comme « vide », de sorte qu’il soit rendu disponible, et c’est elle, finalement, qui encourage, sous la forme d’une injonction, son mari à prendre ce qu’il avait désiré (v. 15-16). Pour autant, sans le roi, Jézabel n’aurait pas pu procéder ainsi : elle écrit des lettres en son nom, elle les scelle du sceau royal [47], et l’on peut rappeler à nouveau que, par une manœuvre d’omission de l’information, le roi a poussé sa femme à devenir active.

D’un point de vue postcolonial, le comportement des hommes de la ville est parlant. Ils font ce qui est commandé par le décret royal ; ils se font collaborateurs à un crime évident. Les narrateurs portent un jugement critique sur ce comportement : au v. 11, ils énumèrent soigneusement toute l’élite masculine de la ville, les anciens et les notables qui habitaient sa ville ; ils répètent que c’étaient des hommes de la ville de Nabot (אַנְשֵׁ֨י עִיר֜וֹ הַזְּקֵנִ֣ים וְהַחֹרִ֗ים אֲשֶׁ֤ר הַיֹּֽשְׁבִים֙ בְּעִיר֔וֹ), donc des gens qui devraient le connaître, lui et la situation. L’élite de la ville apparaît collaborer au pouvoir royal, sans aucune discussion. La collaboration des élites d’un peuple colonisé est un grand sujet des études postcoloniales, car c’est là où se déroule une soumission volontaire au colon. Ici, le cas est encore plus grave : il ne s’agit pas d’une simple collaboration administrative, qui déjà pose des problèmes de loyauté et d’identité, mais il s’agit, dans la perspective des narrateurs, d’une collaboration à un triple crime : faux témoignage, meurtre et expropriation.

Le problème soulevé dans l’exposition du récit a trouvé une « solution » sanglante par rapport à laquelle les lecteurs·trices, antiques et contemporain·e·s, attendent une suite du récit [48]. Celle-ci est donnée aux vv. 17-29.

3.4 Parole qui accuse et juge (1 Rois 21,17-19)

17 Et c’est la parole de IHVH-Adonaï à Élyahou, le Tishbi, pour dire :

18 « Lève-toi ! Descends à l’abord d’Ahab, roi d’Israël, qui est à Shomrôn. Le voici dans la vigne de Nabot, là où il est descendu pour en hériter.

19 Parle-lui pour dire : ‹ Ainsi dit IHVH-Adonaï: Tu assassines et hérites aussi ? › Parle-lui pour dire : ‹ Ainsi dit IHVH-Adonaï: Sur le lieu où les chiens ont lapé le sang de Nabot, les chiens laperont ton sang à toi aussi ›. »

Avec les vv. 17-19, entre en scène une figure nouvelle, Élie, identifié de la même manière que lors de sa première apparition (1 Rois 17,1). Plus précisément, une voix est introduite et remplit l’espace textuel de ces versets, la voix du Dieu d’Israël qui dirige sa parole au prophète. Ce moyen stylistique laisse à penser que c’est la force divine que Nabot avait évoquée, même invoquée [49], qui maintenant intervient dans le cours des évènements, autorité suprême et décisive.

La parole divine reprend les formules du v. 16 en isolant Akhab qui est descendu à la vigne, et prononce une double accusation contre lui : tu as assassiné et tu prends possession. Le verbe hébreu traduit par « assassiner » est celui du Décalogue, du cinquième commandement (רצח ; cf. Exode 20,13/Deutéronome 5,17). On peut y voir un lien intertextuel, on peut également supposer une référence à une tradition ancienne connue en Israël, avant même que le décalogue ne fût composé. Assassiner, c’est un crime capital dans toute société. Le jugement qui suit annonce au roi le sort de celui qui a tué, la mort violente.

Il faut remarquer que, par cette parole de Dieu, le roi, et le roi seul, est chargé de la responsabilité du crime [50]. Dieu ne semble pas accepter l’interprétation donnée par la voix narrative soulignant au moins une co-responsabilité de la reine. Le jugement de Dieu est centré sur le roi en tant que roi d’Israël et le rend responsable de ce que son épouse a fait ou de ce qu’il a laissé faire par son épouse. Le portrait négatif du roi est confirmé ; c’est lui le coupable.

3.5 Le roi et le prophète en confrontation (1 Rois 21,20-24)

20 Ahab dit à Élyahou : « M’as-tu trouvé, mon ennemi ? » Il dit : « Je t’ai trouvé. Parce que tu t’es vendu pour faire le mal aux yeux de IHVH-Adonaï,

21 me voici, je fais venir contre toi le malheur. Je brûle derrière toi, je tranche d’Ahab le pisseur du mur, le cloîtré, l’abandonné d’Israël.

22 Je donne ta maison comme la maison de Iarob‘âm bèn Nebat, comme la maison de Ba‘sha bèn Ahyah, pour l’irritation dont tu irrites, toi qui as fait fauter Israël.

23 IHVH-Adonaï parle aussi à Izèbèl pour dire : ‹ Les chiens mangeront Izèbèl dans l’enceinte d’Izre‘èl.

24 Le mort d’Ahab en ville, les chiens le mangeront et le mort aux champs, les volatiles des ciels le mangeront ›. »

Il apparaît qu’Élie poursuit l’ordre de la voix divine, car Akhab se trouve face à lui et ouvre une joute verbale. La distribution de la parole seule montre qu’Élie lui est supérieur. Il saute aux yeux que le prophète ne se contente pas de répéter la parole de Dieu qu’il a reçue, laquelle se référait directement aux évènements racontés avant, mais qu’il prononce des paroles d’une portée beaucoup plus étendue, lorsqu’il fait allusion à la fin de la dynastie du roi, et, sur un plan plus général, lorsqu’il décrit le crime d’Akhab comme « le mal » (v. 20). Le vocabulaire montre que les vv. 20b-22 ajoutent au récit de la vigne de Nabot des dimensions plus vastes, l’insérant dans l’histoire des rois d’Israël insurrectionnels [51]. D’un point de vue rhétorique, c’est une cascade de malédictions que le prophète fait s’abattre sur le roi. De plus, il n’introduit pas ces paroles avec la formule authentifiant un messager divin (« ainsi parle YHWH ») mais il glisse tout simplement dans le « moi » divin. Par sa prise de parole, Élie manifeste une identification intense avec son Dieu, motif qui revient d’ailleurs au cours du cycle d’Élie [52]. D’après la construction du récit, l’on peut se demander si cette figure n’exprimerait pas l’idéal d’un groupe qui ne distinguerait plus entre la volonté de Dieu et l’interprétation de l’homme, fort de son accès immédiat à Dieu. Un·e lecteur·rice contemporain·e pourrait relever ce « métissage » dangereux entre homme et dieu et remettre en question l’autorité divine des paroles du prophète.

Seul le v. 24 ressemble à la parole de YHWH au prophète (v. 19). Et même ici, Élie amplifie la parole qu’il identifie, cette fois-ci, comme provenant de son Dieu. Avant de reprendre la parole au roi, il s’adresse à Jézabel et lui annonce, au nom de YHWH, la même mort honteuse que son mari. Le fait que cette parole contre Jézabel arrive au cours du récit comme un complément, dont le sujet était absent de la prise de parole des vv.17-19, fait apparaître Élie comme quelqu’un qui désire interpréter, amplifier et compléter le jugement de Dieu qu’il a écouté – animé par son zèle pour YHWH Sabaot (1 Rois 19,10.14), le dieu des armées célestes [53] ?

3.6 Un commentaire (1 Rois 21,25-26)

25 Seulement, nul n’a été comme Ahab vendu pour faire le mal aux yeux de IHVH-Adonaï, incité par Izèbèl, sa femme

26 très abominable pour aller derrière les crottes, comme tout ce que font les Emori, que IHVH-Adonaï a déshérités en face des Benéi Israël.

Les vv. 25.26 se comprennent moins comme la suite des paroles du prophète que comme le commentaire de la voix narrative. La référence à « ce que font les Emori » (v. 26) lie le règne d’Akhab à celui de Manassé (2 Rois 21,11)[54] ; il s’agit d’une prolepse, à côté de l’analepse au v. 22, qui insiste cette fois-ci sur l’apostasie religieuse du roi. En même temps, le commentaire revient à nouveau sur Jézabel. Traitée de manière comparable à son mari au v. 23, maintenant il est question de sa culpabilité qui est exploitée avec vulgarité. J’y reviendrai au cours de ma deuxième lecture du récit.

Pour le moment, j’insiste sur le fait que la mention des « Emori » rappelle un des peuples de la terre de Canaan, qui, dans le grand discours de Josué à la fin de sa vie (Josua 24 ; en particulier 24,8-18), constitue le prototype des peuples idolâtres du pays. Le commentaire de 1 Rois 21,26 rappelle que c’était à cause de leur idolâtrie qu’ils avaient perdu le droit de vivre dans le pays, que Dieu les avait « déshérités » (הוֹרִישׁ ; verbe du vocabulaire deutéronomiste [55]). Avec le verbe ירשׁ au hif‘il l’appel de Jézabel à son mari « Va, prends possession » (ק֣וּם רֵ֞שׁ ; v. 15), ainsi que l’accusation par la parole divine (v. 18) se font écho. Mais l’on voit bien que ce n’est plus le meurtre judiciaire qui est la raison du jugement sur Akhab, mais son idolâtrie. En jugeant Akhab la prise du territoire de Canaan par les Israélites est ratifiée encore une fois, même si 1 Rois 21,25 met l’accent sur la perte du pays à cause de l’idolâtrie en Israël. Il est vrai que la théologie deutéronomiste lie la possession du pays à la vénération du seul Dieu d’Israël, mais il est aussi vrai que, par cette théologie, au nom du vrai Dieu, une expulsion de peuples indigènes « païens » peut être facilement justifiée.

3.7 Le jugement reporté (1 Rois 21,27-29)

27 Et c’est quand Ahab entend ces paroles, il déchire ses habits, met un sac sur sa chair et jeûne. Il se couche dans le sac et va lentement.

28 Et c’est la parole de IHVH-Adonaï à Élyahou, le Tishbi, pour dire :

29 « As-tu vu Ahab ? Oui, il est maté en face de moi. Et parce que, oui, il est maté en face de moi, je ne ferai pas venir le malheur de ses jours. Mais aux jours de son fils, je ferai venir le malheur sur sa maison. »

Le dernier paragraphe revient sur la confrontation entre Élie et Akhab. Le roi est prêt à s’humilier devant Dieu (27), ce qui provoque une deuxième parole de YHWH à Élie, qui témoigne de la pitié envers Akhab et reporte les menaces prononcées contre lui à la génération suivante.

3.8 Le dégagement par la lecture continue …

Pour résumer : le texte 1 Rois 21 développe un problème d’expropriation et prend parti très nettement pour celui qui souffre d’une injustice criante et qui est, à la fin, victime d’un meurtre légitimé par l’institution judiciaire. C’est un texte qui met Dieu au côté du subalterne, en opposition au roi, un texte qui conteste le droit d’un roi de s’approprier un terrain au sein même de son royaume. La terre, le territoire, ne lui est pas soumise ; il n’a pas le droit d’en disposer. Le texte nous met devant une question brûlante, déjà pour l’Israël biblique, dans les sociétés traditionnelles et, jusqu’à nos jours, dans les contextes et les multiples formes contemporaines de la spoliation de terres [56].

À partir des deux premières questions de Musa Dube, l’on pourrait également présenter ainsi notre texte : il témoigne d’une résistance aux exigences d’un souverain qui réclame de droit la prise de possession d’un territoire – aux exigences d’un souverain terrestre, il faut cependant ajouter, car, comme le montre le v. 25, le texte affirme qu’il en va différemment pour le souverain céleste. Il est vrai que les auteurs bibliques eux-mêmes se rangent sous la domination de ce souverain céleste et condamnent l’idolâtrie que leur peuple pratique dans le pays, mais cela n’empêche pas de relever que l’idée même d’un lien entre la possession d’un pays et l’exclusivité d’un culte correct porte en elle le danger de l’oppression, quand un groupe, un peuple, une nation se croit légitimé·e à agir au nom du vrai Dieu et de son culte.

Une lecture attentive aux exclusions, qui désire démasquer des exclusions larvées, continuera de tourner et retourner le texte. La chercheuse sud-africaine Makhosazana Nzimande, enseignante d’Ancien Testament à l’université de la Province KwaZulu Natal en Afrique du Sud, a développé une analyse qu’elle appelle elle-même le·la « imbokodo postcolonial·e »[57]. Imbokodo désigne une pierre très dure que les femmes zouloues utilisent pour marcher dans les terrains sablonneux, c’est donc le symbole d’un fondement solide ; l’objet est pris à la nature, mais adapté à un usage culturel, indispensable pour le travail quotidien des femmes à la campagne. Avec le terme imbokodo, Nzimande évoque ce contexte et se réfère en plus à une tradition indigène, ce qui constitue un choix herméneutique opéré par beaucoup d’intellectuel·le·s des pays du Sud, qui de cette manière recherchent et mettent en valeur des savoirs qui ne reprennent pas les catégories reçues des colons. Pour l’auteure, la lecture imbokodo se situe plus spécifiquement du côté de la lutte des femmes noires sud-africaines contre quatre forces oppressives que sont le colonialisme, la pauvreté, l’apartheid et la discrimination fondée sur le sexe/genre. À la suite de Gayatri Chakravorti Spivak, Nzimande pose la question de la place des subalternes dans le texte, de celles qui ne parlent pas. Elle offre une réponse qui s’inscrit dans une lacune du texte, attirant l’attention sur la femme et les enfants de Nabot. Le récit parle longuement du meurtre de l’homme, mais il reste muet sur sa famille. Pourtant, si le père de famille est mort, que va-t-il advenir de sa femme et de ses enfants ? Est-ce qu’ils auront le droit de rester en ville, ou est-ce que la vie leur sera devenue insupportable, dans une communauté qui a trahi leur mari et leur père ? Questions auxquelles le récit de 1 Rois 21 ne donne pas de réponse, qu’il ne pose même pas. Il est vrai, on pourrait l’ajouter, que les fils de Nabot sont mentionnés dans un autre contexte, celui de la révolution de Jéhu (2 Rois 9,26). On apprend qu’ils furent tués comme leur père. Cependant, ce n’est pas par pitié envers eux que l’on fait cette remarque, mais pour un besoin de symétrie : le récit en 2 Rois 9 parle de la mort violente du fils d’Akhab, Akhazias, et c’est pour cela que les fils de Nabot entrent en jeu. Et encore leur mère, la femme de Nabot, demeure passée sous silence. Voilà des subalternes auxquelles la parole est refusée, voilà une exégèse qui se voit obligée d’inscrire ces subalternes dans le texte biblique ; des subalternes qui se trouvent du côté de ceux et de celles privé·e·s de justice.

À la fin de cette première lecture d’1 Rois 21, je reviendrai sur la vigne comme métaphore/métonymie. Il me semble que l’on peut observer une structure analogue entre le récit 1 Rois 21 et celui de David qui a le désir de prendre la femme qu’il voit du toit de son palais royal, Bethsabée (2 Samuel 11) [58]. Ce récit établit d’ailleurs une analogie entre le siège de la capitale des Ammonites (2 Samuel 11,1), que David, avec l’aide de son général Joab, parvient à prendre (2 Samuel 12,26-30), et les intrigues de David pour obtenir Bethsabée et faire tuer son mari au combat, à nouveau assisté par Joab. Une ville (la capitale des Ammonites) fonctionne comme métonymie du corps de la femme. David désire une femme, Bethsabée, qui appartient à un autre ; il la prend, et c’est un prophète, Nathan, qui lui dit : tu as commis le double crime de meurtre et d’adultère (2 Samuel 12). Akhab désire une vigne ; il la prend, et c’est le prophète Élie qui lui reproche au nom de Dieu : tu as commis un meurtre pour prendre possession. Le parallèle structurel entre les deux récits semble confirmer que la vigne peut être vue, elle aussi, comme métonymie d’un corps de femme. Pour un regard postcolonial sur le texte, cela n’est pas surprenant, car, dans la langue du colon, les territoires à prendre sont des femmes à prendre. Ce motif n’étant pas développé en 1 Rois 21, le regard rendu sensible à la métonymie signalée ici pourra découvrir qu’une autre question cruciale reste en suspens à la fin du récit en 1 Rois 21 (et ne sera plus reprise) : l’humiliation rituelle du roi aura-t-elle des conséquences pratiques sur le territoire volé ?

4. Blâme à la reine – la figure de Jézabel

Dans la suite de cette étude, la figure de Jézabel sera placée au centre de l’attention, depuis des perspectives féministes, de genre et postcoloniales. Pour repérer son rôle il me paraît nécessaire de parcourir le cycle d’Élie dans son ensemble. Dans ce contexte plus large, l’histoire de la vigne de Nabot et, avec elle, la figure de Jézabel, revêt, elle aussi, des formes et des significations spécifiques.

4.1 L’épouse derrière le roi – 1 Rois 16,29-34

L’entrée en scène de Jézabel se trouve en 1 Rois 16,29-34 [59] :

29 Ahab bèn ‘Omri règne sur Israël dans l’année trente-huit d’Assa, roi de Iehouda. Ahab bèn ‘Omri règne sur Israël à Shomrôn vingt-deux ans.

30 Ahab bèn ‘Omri fait le mal aux yeux de IHVH-Adonaï, plus que tous avant lui.

31 Il est léger pour lui d’aller dans les fautes de Iarob‘âm bèn Nebat. Il prend une femme, Izèbèl, la fille d’Ètba‘al, le roi des Sidonîm. Il va, sert Ba‘al et se prosterne devant lui.  

32 Il érige un autel pour Ba‘al, dans la maison de Ba‘al, qu’il a bâtie à Shomrôn.

33 Ahab fait une Ashéra. Ahab continue à faire pour irriter IHVH-Adonaï, l’Elohîms d’Israël, plus que tous les rois d’Israël qui étaient avant lui.

34 En ces jours, Hiél de Béit-Él bâtit Ieriho. Il la fonde sur Abirâm, son aîné, et sur Segoub, son cadet, il poste ses portes, selon la parole de IHVH-Adonaï dont il avait parlé par la main de Iehoshoua‘ bîn Noun.

Dans ces versets on reconnaît facilement la main et le style deutéronomistes : sont données d’abord les dates du règne d’un roi d’Israël, en relation avec celles du roi de Judée. On reconnaît aussi la formule de jugement sur le roi, comparé à ses prédécesseurs : Akhab était le pire de tous. Le dernier verset (v. 34) fait allusion à la fin du récit sur la chute de Jéricho : Josué avait maudit celui qui irait reconstruire cette ville (Josua 6,26). Cette malédiction, selon les deutéronomistes, se réalise donc aux temps du roi Akhab, encore un signe que son règne est considéré, disons mieux, est construit de façon extrêmement négative. Restent les vv. 31-33 qui donnent des précisions sur le règne d’Akhab : il se marie à Jézabel, princesse sidonienne, il sert le Dieu Baal, il érige un lieu de culte pour Baal et « il fait une Ashérah » – la formulation laisse penser à un objet de culte[60]. Jézabel apparaît donc dans le contexte de ces jugements négatifs et en tête d’une succession d’activités cultuelles du roi qui, dans la perspective deutéronomiste, sont à rejeter. Il faut noter pourtant que ce n’est pas « la femme », non plus « la femme étrangère » telle quelle qui pose problème, mais le fait que le roi d’Israël soit entré en relation avec elle en l’épousant. Reformulé en termes de sexe et de genre : ce n’est pas tant la femme comme individu de sexe féminin, mais la descendance non israélite associée à cette relation maritale, qui est en jeu. Il est donc bien question du genre, c’est-à-dire de culture ou de société. Avec Jézabel, une femme étrangère devient membre de la famille royale. Par ailleurs, elle est une fille dont le père porte un nom indiquant sa vénération du Dieu Baal et auquel son nom à elle se rattache également : le nom « I-zebel » / « אִיזֶבֶל » (« Où est le prince ») [61] fait référence à Baal, connu comme « prince » par les textes de Ras Shamra/Ougarit. Ces données textuelles laissent entendre que c’est par elle ou à cause d’elle qu’Akhab se met à vénérer ce Dieu Baal et à lui construire des ensembles de culte [62]. L’ordre chronologique du récit sous-tendrait en effet un ordre logique. Voilà un motif répandu dans les livres dits deutéronomistes ou influencés par la rédaction deutéronomiste: l’exogamie est à proscrire, car les épouses étrangères au peuple d’Israël inciteront leurs époux israéliens à servir d’autres dieux à côté ou à la place du Dieu d’Israël (Deutéronome 7,2-4 ; Exode 34,15-16 ; cf. aussi Nombres 25,1-3). Le premier exemple dans l’histoire des rois bibliques est Salomon : quand il fut vieux, ses femmes détournèrent son cœur vers d'autres dieux (1 Rois 11, 4). Notez bien que c’est l’homme qui a fait le premier pas dans ces mariages (comme d’ailleurs, en Nombres 25,1-3, les hommes israélites avaient pris l’initiative de s’acoquiner avec les femmes moabites), mais il se retrouve pris au piège. C’est ce type de jugement deutéronomiste qui marque aussi le passage de 1 Rois 16,29-34 introduisant tout ce qui suit sur le couple royal d’Akhab et Jézabel et qui oriente ainsi la perception du·de la lecteur·rice.

Comme exemple d’un « regard orientalisant » sur Jézabel, je cite l’étude de Jean Steinmann sur « la geste d’Élie ». Steinmann se pose la question : « Quel est ce Baal, dont Jézabel est la zélatrice ? » et apporte la réponse suivante : « Le Baal de Jézabel n’était pas un vulgaire dieu rural. Son histoire était l’objet d’une mythologie savante. Ses prêtres étaient des corybants, qui cherchaient dans des cérémonies de derviches, une extase mystique naturiste. Sa religion était celle de la fertilité, du sexe et de la mort, de la mutilation et du sang. »[63] C’est l’oscillation entre dégoût et fascination qui caractérise ces « informations ». Elles sont inspirées par les textes bibliques, notamment par 1 Rois 18,40 sqq., et par l’idée, répandue dans les recherches bibliques de l’époque, d’une « religion de la fertilité » pan-cananéenne, elle-même élaborée en s’appuyant largement sur les textes bibliques dont on négligeait l’importante dimension polémique. Ces recherches témoignent elles-mêmes de stéréotypes et de distorsions.

4.2 « Critique de la raison occidentale »

Avant de poursuivre mes analyses, il faut revenir sur la contribution de Makhosazana Nzimande qui vise à « reconfigurer Jézabel » (reconfiguring Jezebel) [64]. En insistant sur les subalternes du texte, l’auteure pratique son approche imbokodo, en solidarité avec la lutte des femmes sud-africaines noires, sur le plan socio-économique et sur celui de genre. Cette approche implique d’insister sur la restitution du pays volé par les colons. Elle y ajoute deux autres préoccupations : se situer de manière critique envers la politique de l’ethnicité et de l’identité post-apartheid et sauvegarder la mémoire de l’histoire oubliée des femmes africaines noires [65]. En effet, dans le contexte sud-africain, on conserve la mémoire de reines noires, fait important pour un point de vue féministe dont l’intérêt porte sur les femmes de pouvoir[66]. En se demandant quelle était la contribution de ces femmes-reines pour le bien-être des pauvres et pour une société juste, Nzimande découvre pourtant que l’égoïsme (personnel, familial, tribal) des reines ne se distingue point de celui des rois. Celui ou celle qui soutient la lutte des femmes noires contre les quatre forces oppressives, le colonialisme, la pauvreté, l’apartheid et la discrimination par rapport au sexe, ne pourra donc pas s’épargner la critique envers les femmes associées aux oppresseurs/exploiteurs, même si c’est une reine noire. Le critère de la justice rendue aux subalternes vaut plus que l’intérêt de rappeler les femmes de pouvoir. Suivant l’impulsion de Fanon, Nzimande se situe donc plutôt du côté du révolutionnaire que du critique culturel. Elle adresse un reproche à l’égard des féministes occidentales qui se sont efforcées de reconstituer l’image d’une Jézabel historique libérée des distorsions deutéronomistes : « The feminist romanticisation and homogenisation of Jezebel’s role in this story as a demonstration of her outstanding leadership and wisdom, is inimical to our postcolonial concerns and hazardous to our quest for the liberation of black women from white women’s oppression in particular. Voilà ! Here lies a typical example of the lack of solidarity between colonised and colonizer women »[67]. Sa propre « reconfiguration » voit en Jézabel un « voyageur puissant » (Musa Dube), qui arrive dans un pays lointain en étrangère, exerce son pouvoir sur le peuple assujetti et lui impose sa religion [68]. La Phénicie devient pour elle symbole de l’empire et de ses forces colonisatrices [69], et Nabot la victime d’un ethnic othering [70]. Nzimande lit donc le cycle d’Élie tel qu’il se présente : l’histoire d’une époque où l’influence culturelle et religieuse venant des Phéniciens, acclimatée par Jézabel devenue reine d’Israël, serait presque parvenue à écraser la religion israélite et à priver de ses droits le peuple.

En tant qu’exégète occidentale, placée dans une position privilégiée du point de vue économique, politique, religieux, ethnique, j’ai toutes les raisons d’écouter et de comprendre cette lecture du cycle d’Élie et en particulier du récit du ch. 21, depuis une localisation telle que Nzimande l’a décrite. Je suis d’accord avec elle, sans aucune réserve : dans la mesure où des femmes « réelles » sont coupables d’injustices, quelle qu’en soit la nature, il faut l’exposer et non les en « blanchir » [71]. Dans la mesure où Jézabel, comme figure du récit, est du côté d’une politique colonialiste, il faut soumettre à la critique ses paroles et ses actions. Cependant, entre le plan des « femmes réelles » et celui des « femmes comme figures-actrices d’un récit », se trouve le plan de la construction de ces figures par le texte (et par les auteurs historiques « derrière » le texte)[72]. C’est sur ce plan que j’ai relu 1 Rois 16, 29-34, car il me paraît qu’un regard postcolonial – de provenance occidentale, je l’avoue, même si ma lecture se fait sous l’arrière-fonds de la montée en force de mouvements nationalistes et xénophobes dans beaucoup de pays européens – y découvre au moins deux problèmes à étudier sans abandonner la solidarité avec ceux et celles qui luttent contre des discriminations multiples : le problème posé par un rejet impératif d’une femme étrangère comme épouse, qui représenterait un piège culturel ou religieux pour son mari, et le problème que le prophète ne poursuit pas moins que la reine le concept de l’exclusivité du culte légitime, en l’occurrence, celui de son dieu YHWH.

Pour clarifier encore une fois mon angle d’approche qui se situe entre la « figure historique » et la « figure dans le récit », je voudrais sur ce point rappeler les études de Gayatri Chakravorti Spivak sur la Rani (= reine) de Sirmur, une souveraine (1815-1827) du Nord-Est de l’Inde britannique. Après la mort de son mari elle devait, selon les maîtres coloniaux, fonctionner comme tutrice du roi-enfant mineur, son fils, mais elle demandait le sati, donc d’être brulée avec son mari. Spivak a interrogé les sources de l’époque sur les raisons qui motivaient la reine – sans résultat ; les sources n’en parlent pas ; aucune voix ne lui est donnée. Pour Spivak, la Rani de Sirmur incarne, dans un certain sens, le paradigme d’une « subalterne qui ne parle pas », en dépit du fait qu’elle appartenait à la classe dominante de son pays [73]. Il me semble qu’il est possible de’appliquer cette analyse à Jézabel. En général, on admet que cette figure biblique n’est pas purement fictive [74]. Cependant, outre les textes bibliques imprégnés par les perspectives deutéronomistes [75], nous ne disposons pas de sources. Toute reconstruction historique reste hypothétique et, ajoutons-le, elle-même guidée par des représentations préconçues. Cependant, plutôt que d’essayer de rendre une voix à une Jézabel historique, je me contenterai d’esquisser les contours de l’idéologie des textes qui la concernent.

4.3 La veuve et la reine – 1 Rois 17-18

1 Rois 17 ne mentionne pas Jézabel – par contre, il parle de la veuve sidonienne et de son fils. En résultent, dès le début du cycle d’Élie, deux relations entre un homme israélite et une « femme étrangère », à savoir Akhab et Jézabel, ainsi qu’Élie et la veuve. Dès le début il y a une femme étrangère qui incite l’homme israélite à l’apostasie et une autre femme étrangère qui confesse sa foi au Dieu d’Israël, persuadée par la rencontre d’un homme de Dieu.

Dans ma première conférence, en m’appuyant sur mon analyse de 1989, j’avais fortement souligné la théologie du ch. 17 en lien avec l’idéologie du texte [76]: une femme étrangère retrouve le vrai Dieu des pauvres. Au nom de ce Dieu, il m’a paru juste et nécessaire de critiquer l’abus du pouvoir de ceux et celles qui sont en possession du pouvoir. Avec cette théologie de la libération, il était facile de voir en Jézabel la représentante d’un tel pouvoir abusif. J’ai donc lu les textes avec une herméneutique de confiance en la juste cause du Dieu de la libération qui est le Dieu de la Bible. À l’époque, je dirais aujourd’hui, j’ai probablement accordé trop peu d’attention à un autre aspect de l’idéologie du texte, à savoir la construction de Jézabel selon le schéma de la « femme étrangère qui fait introduire des cultes étrangers ; l’épouse étrangère qui incite l’homme israélite à l’abominable ». La théologie de la libération des années 1980 était, malgré les révisions féministes, encore trop peu sensible à ce genre de constructions textuelles dans la Bible [77]. En regardant le cycle d’Élie comme construction narrative, on pourra dire : la veuve sidonienne comme la princesse sidonienne reflètent le regard deutéronomiste sur les « femmes étrangères ». La veuve représente l’étrangère acceptée, celle qui ne désire pas se marier à un homme israélite, celle qui reste à son lieu d’origine (ou qui y rentre, comme la reine de Saba en 1 Rois 10,1-13); celle qui offre l’hospitalité, celle qui reconnaît la puissance du Dieu d’Israël (comme Rahab dans Josua 2), celle à laquelle on ne demande pas de renoncer à ses dieux pour ne vénérer que YHWH[78], tandis que la princesse est perçue et présentée comme l’intrus dangereux dans Israël.

Cette construction antithétique, on pourrait dire suivant le schéma « good girl – bad girl » [79] (« mauvaise fille / brave fille ») est aussi perceptible au ch. 18. Jézabel y réapparaît trois fois. Notons tout d’abord un trait narratif : aux ch. 16-19, les mentions de Jézabel sont brèves et dispersées à travers les textes ; la figure de Jézabel apparaît fragmentée, privée d’une apparence forte dans les récits. Deux fois au ch. 18 (18,4 et 18,13), on accuse Jézabel d’avoir massacré des prophètes de Yahvé ; une fois (18,19), le texte parle de 450 prophètes de Baal et de 400 prophètes de l’Ashérah qui mangent à la table de Jézabel, qui sont donc soutenus et favorisés par elle. Le fait que les 400 prophètes de l’Ashérah soient mis en parallèle exact avec les 450 prophètes du Baal fait penser à une déesse Ashérah à côté du Dieu Baal [80]. Jézabel aurait donc protégé le culte de ces deux divinités, d’un dieu et de son parèdre, et elle aurait, par l’intermédiaire de leurs prophètes, veillé à ce que la religion de Baal et d’Ashérah gagne en influence politique en Israël, comme l’influence politique que les prophètes de Yahvé exercent dans les campagnes militaires décrites aux ch. 20 et 22.

Les trois mentions de Jézabel renforcent l’impression gagnée à la lecture de 1 Rois 16,29-34 : c’est elle qui encourage de façon active le culte de dieux autres que Yahvé, et bien plus, bien pire que cela, c’est elle qui s’oppose brutalement au culte de Yahvé. Le texte se tait sur le rôle du roi : ou Akhab n’en sait rien, ou il n’intervient pas – en tout cas, le temps de son règne est présenté comme une époque où les prophètes de Yahvé sont persécutés, persécution instiguée par Jézabel. Son portrait en contre-image de la veuve sidonienne est ainsi approfondi : la veuve donne à manger au prophète de YHWH, la reine reçoit et entretient les prophètes de ses dieux à elle ; la veuve offre un hébergement à Élie, un prophète d’un dieu étranger pour elle (1 Rois 17,17 sqq.), la reine fait persécuter les prophètes de YHWH, le dieu lié au pays où elle vit avec son époux, le roi d’Israël.

En reprenant les deux questions de Musa Dube concernant la construction de la différence et les représentations du genre, je pourrais déjà résumer : il y a un fil rouge dans le cycle d’Élie qui construit le personnage de Jézabel comme une femme étrangère représentant un danger pour le vrai Israël et son Dieu. Jézabel représente le différent, l’autre, et le texte joue aussi très clairement sur une représentation genrée, d’autant plus qu’elle trouve sa contre-image dans une autre femme étrangère, la veuve sidonienne. Sur le plan de l’idéologie du cycle d’Élie, cette femme est l’instrument narratif pour démontrer que la puissance de Yahvé s’étend, par l’intermédiaire de son prophète, jusque dans une région du Baal phénicien et que c’est seulement « à l’étranger » que le dieu d’Israël peut montrer ses forces vivifiantes, tandis que du côté de Jézabel, Baal et Ashérah, règnent le crime, l’injustice, la mort violente, auxquelles Yahvé et son prophète répondent de la même façon. Dans ce sens (restreint), on pourra dire que la veuve phénicienne porte un « masque blanc », pour reprendre l’image de Frantz Fanon ; qu’elle parle, pour le décrire avec Musa Dube [81], comme un perroquet qui répète les convictions de ceux qui sont derrière les textes. Même si j’ai cœur à souligner le rejet des structures de crime, de corruption, de violence que ces textes exposent, j’insiste toutefois aussi sur les « binarités » problématiques qui les traversent [82].

4.4 1 Rois 21 – une deuxième lecture [83]

Le récit de la vigne de Nabot fait suite au ch. 20 [84], qui relate les conflits armés entre Akhab, le roi d’Israël, et Ben-Hadad, roi des Araméens. Des prophètes se font entendre et influent de manière décisive sur les évènements. Le·la lecteur·rice s’attend donc à une présence prophétique similaire dans la suite, tout en percevant que la scène a changé : du champ de bataille au palais royal, de la politique extérieure à une affaire de « l’intérieur », d’un conflit militaire à un conflit juridique. De Jézabel, on sait qu’elle a fait tuer des prophètes de Yahvé, qu’elle est donc prête à aller jusqu’au meurtre pour imposer ses intérêts. Plutôt que de penser à une épouse aimable qui réagit de manière compatissante envers le chagrin de son mari (1 Rois 21,4), l’on est tenté de se demander si sa question au v. 5 ne traduit pas une forme d’impatience, voire de mépris. Le fait que l’entretien entre le roi et la reine se fasse dans la chambre à coucher devient significatif : lieu d’intrigues plutôt que de décisions sages, lieu aussi qui confère à la scène un sous-entendu érotique ou sexuel. À cet égard, le verbe « manger » est parlant : ne pas manger, parce que le désir était refusé (v. 4) ; « manger » comme métonymie d’une autre absorption, celle de la vigne (v. 7). Jézabel définit la prise de la vigne comme un acte quasi naturel et comme un besoin vital qui aura des effets positifs sur le « souffle » (v. 5) et le « cœur » (v. 7). Au pouvoir royal de satisfaire à ce besoin « naturel », au-delà de considérations d’ordre éthique.

Le plan conçu par Jézabel pour éliminer Nabot repose sur le postulat du lien étroit entre le roi et la divinité, postulat qu’elle peut supposer comme admis aux yeux de ceux auxquels elle envoie son décret. Le·la lecteur·rice comprend qu’elle tourne en malédiction de Dieu, en s’y référant d’ailleurs par l’euphémisme de « bénir » (v. 10), la malédiction que Nabot avait prononcée sur lui-même et son refus de donner la vigne au roi en crime de lèse-majesté. Elle respecte ainsi la piété des destinataires. Le fait que Jézabel se sert de l’expression « בְּנֵי־בְלִיַּעַל » pour désigner les deux hommes qui devaient témoigner contre Nabot (v. 10) montre qu’elle se rend compte qu’elle est en train de commettre un crime, car cette expression a toujours une connotation négative [85]. Si la première scène laissait encore en suspens le jugement du texte sur Jézabel, cette scène-ci est claire ; à sa lumière, la précédente pourra aussi être relue comme une pointe contre la reine : pour Jézabel, le pouvoir royal est libre de passer outre la volonté d’un de ses sujets. Judith McKinlay pose la question de savoir si le terme de « בְּנֵי־בְלִיַּעַל» désignant les faux témoins fait vraiment partie du discours de la reine ou s’il ne traduit pas plutôt le jugement du narrateur, inséré subrepticement dans les paroles du personnage qu’il a créé [86]. Il en va peut-être de même avec la mention qui est faite dans le récit du fait que les nobles de la ville rapportent la mort de Nabot à Jézabel plutôt qu’au roi (v. 14), alors même que les décrets portaient le sceau royal.

Si le narrateur, ou la voix narrative, s’efforce de souligner la culpabilité de la reine, la parole divine des vv. 17-19, elle, ne l’évoque même pas. Le crime du faux témoignage que Jézabel a instigué n’est pas mentionné. Du point de vue genre, l’on pourra dire que la parole de Dieu est guidée par un regard androcentrique, mais il est possible que l’androcentrisme soit dû au fait que l’homme est israélite ou que l’Israélite soit roi [87]. C’est Élie qui, après ses paroles contre la dynastie du roi (vv. 21-22), ajoute un jugement sur Jézabel (v. 23), analogue à celui sur Akhab (v. 24). Le prophète semble donc voir la faute du couple, mais étant donné qu’il fait précéder son annonce contre le roi d’une parole contre Jézabel, on pourra se demander s’il n’accorde pas déjà plus d’importance aux crimes de la reine. Le commentaire des vv. 25-26 affirme cette « (de-)valorisation ». Lisons encore une fois ces versets :

25 Seulement, nul n’a été comme Ahab vendu pour faire le mal aux yeux de IHVH-Adonaï, incité par Izèbèl, sa femme (BJ : séduit ; TOB : dévoyé)

אֲשֶׁר־הֵסַ֥תָּה אֹת֖וֹ אִיזֶ֥בֶל אִשְׁתּֽוֹ

26 Il a agi d’une manière tout à fait abominable, s’attachant aux idoles, comme avaient fait les Amorites que Yahvé chassa devant les Israélites.

Akhab reste coupable, mais la faute est déplacée sur « sa femme » / son épouse. La Bible de Jérusalem parle d’une séduction, la TOB se sert du verbe dévoyer ; Chouraqui traduit par inciter. En effet, le verbe סות au hif‘il signifie « inciter », souvent inciter à quelque chose de mauvais. Deutéronome 13,7 parle de « l’épouse qui repose sur ton sein », qui « cherche dans le secret à t’inciter (סות) en disant : “Allons servir d'autres dieux…” » C’est de ce genre d’avertissements que 1 Rois 21,25 s’inspire.

La traduction de la Bible de Jérusalem qui choisit de rendre סותhif. par « séduire » fait résonner à des oreilles chrétiennes pieuses la séduction de la première femme au paradis et crée donc un lien entre elle et Jézabel. En comparant la réponse de la femme à la question de savoir pourquoi elle a mangé du fruit interdit (Genesis 3,13), on découvre que le texte hébreu emploie le verbe נִשּׁאhif. « tromper » (cf. Genesis 3,13 TOB). La Bible de Jérusalem, cependant, parle d’une « séduction » là aussi. Il semblerait que pour les traducteurs de la BJ le lien entre Ève et Jézabel se soit fait « naturellement » : Jézabel est une réincarnation d’Ève, l’épouse qui « dévoie » son mari. Ou faut-il aller plus loin et penser ceci : celui qui a « séduit » Ève est le serpent, le diable ; Jézabel « séduisant » Akhab se retrouverait du côté du mal personnifié ? Il s’agit d’un cas où la traduction renforce des stéréotypes de genre au lieu de les contrecarrer, un cas sans doute révélateur de stéréotypes profondément ancrés.

Mais, il faut le dire, ces stéréotypes sont quelquefois eux-mêmes nourris par les textes bibliques. La rencontre de la première femme avec le serpent à côté de l’arbre interdit évoque une constellation documentée par l’iconographie du Proche Orient ancien (l’Égypte incluse [88]) depuis le Bronze Moyen : une femme-déesse associée à un arbre ou aux branches d’un arbre, dans certains cas fusionnée avec un arbre. Ainsi la scène de Genesis 3,1-24 peut être lue comme un résumé de l’histoire d’Israël : elle se situe dans un pays donné par Dieu, et représente la transgression du commandement de Dieu de ne pas servir d’autres dieux, puis l’expulsion du pays [89]. Le serpent et l’arbre symbolisent les cultes interdits, la femme celle qui incite l’homme à participer à ces cultes. Par l’intermédiaire d’une telle lecture de Genesis 3, la possibilité d’un lien entre Ève et Jézabel devient « vérifiable ».

Au v. 25, Jézabel est accusée de manière directe par la voix du commentateur qui relie les évènements autour de la vigne de Nabot au problème du faux culte. Cette voix explicite enfin ce qu’évoque le bref passage de la fin du ch. 16 : Akhab faisait ce qui déplaît à Dieu, parce que sa femme Jézabel l’y avait incité (1 Rois 16,31-33). La parole de Dieu avait rendu le roi responsable du crime, mais les commentateurs pointent le doigt sur la femme derrière lui. L’ensemble des remarques deutéronomistes dessinerait donc l’image d’une soumission d’Israël à un pouvoir étranger représenté par une femme, Jézabel. Tandis que le roi a du succès avec sa stratégie d’auto-humiliation et espère être pris en pitié, la reine Jézabel est effacée du récit par l’anticipation, narrative ou prophétique, de sa mort violente [90].

4.5 «Localisations » historiques – quelques réflexions en parenthèse

A ce point j’insère quelques réflexions concernant le problème de la « localisation » historique du récit en 1 Rois 21 et des actualisations de la figure de Jézabel. Les commentaires distinguant des couches anciennes dans ce récit (ainsi que dans l’ensemble du cycle d’Élie), retravaillées par des mains deutéronomistes, se contentent souvent d’expliquer la signification des textes par rapport aux contextes historiques du 9e siècle av. J.-C, c’est-à-dire avant l’ère du contact en Israël avec le premier empire, l’empire assyrien. L’on trouve parfois une remarque un peu vague, comme celle d’Ernst Würthwein, qui, bien avant l’émergence des études postcoloniales, imagine la continuité de la signification du récit sous des conditions coloniales, quand il résume que la tendance critique envers la royauté exprimée en 1 Rois 21 se trouve confirmée par la parole divine (vv. 17 sqq.), message réconfortant dans des situations « où l’on est livré à la tyrannie de souverains étrangers » [91].

En tout cas, il faut prendre en compte que le cycle d’Élie dans son ensemble fait partie de l’historiographie deutéronomiste, qui présuppose la fin des royaumes du Nord et du Sud, la chute de Jérusalem et la destruction du temple. Dans la chronologie des rois du royaume du Nord en 1-2 Rois, Akhab apparaît comme le septième roi ce qui souligne que, à son époque, l’histoire d’Israël atteint le niveau le plus bas. Face à ce roi, Élie représente d’une manière paradigmatique les efforts vains des prophètes de YHWH d’agir sur la politique cultuelle des rois. Le mariage à une femme non israélite en est un élément. Après le retour en Judée, à la suite de cette idée, le peuple sera organisé sous l’autorité d’un dieu unique et sans mariages « mixtes ».

Le sujet des épouses « étrangères » devient un sujet central dans les livres d’Esdras et de Néhémie (Esdras 9-10 ; Néhémie 13,23 sqq.), elles sont les protagonistes de textes fermement opposés à tout « métissage » entre Israël et les peuples voisins. Néhémie, dans son discours devant les Judéens qui s’étaient mariés avec des femmes ashdodites, ammonites ou moabites, fait référence au roi Salomon et à ses femmes étrangères qui l’auraient « entraîné à pécher » (Néhémie 13,26) ; la polémique contre Jézabel, fille du roi sidonien (1 Rois 16,31), pourrait en être rapprochée. Une hypothèse plausible serait d’admettre que dans ces textes le débat sur l’identité de la communauté judéenne, débat animé par ceux qui étaient rentrés d’exil, n’était pas marqué seulement par des facteurs internes, mais aussi par le fait de vivre sous un pouvoir colonial ou impérial, celui de l’empire perse. Dans quelle mesure on peut expliquer la construction de la figure de Jézabel par une telle location, localisation, serait encore à étudier [92]. Il est cependant certain que la peur de perdre une identité culturelle et surtout religieuse est capable d’alimenter des énergies destructives, dont les conséquences négatives affectent aussi les stéréotypes préexistants.

4.6 La reine et le prophète

Une seule fois Jézabel est montrée en opposition directe contre Élie, au début du ch. 19, de nouveau dans un paragraphe bref :

1 Achab apprit à Jézabel tout ce qu’Élie avait fait et comment il avait massacré tous les prophètes par l’épée.

2 Alors Jézabel envoya un messager à Élie avec ces paroles : « Que les dieux fassent tel mal et y ajoutent tel autre, si demain à cette heure je ne fais pas de ta vie comme de la vie de l’un d’entre eux ! »

3 Il eut peur ; il se leva et partit pour sauver sa vie. …

Le grand combat entre les prophètes du Baal et Élie s’achevait sur Élie qui faisait descendre les prophètes au torrent Qishon, puis, le texte le dit en ces mots (18,40) : « là, il les égorgea ». Au massacre des prophètes de Yahvé exécuté par Jézabel, Élie semble répondre par un massacre des prophètes du Baal, ceux qui ont mangé à la table de Jézabel. La réaction de la reine n’étonne pas ; elle promet la mort au prophète.

Le fait que le roi raconte à sa femme ce qui s’est passé au Carmel et au Qishon, pourrait de nouveau traduire, au premier coup d’œil, la situation d’un homme hésitant ou faible. Mais Élie n’avait-il pas exigé que les prophètes du Baal nourris à la table de Jézabel viennent au Carmel (1 Rois 18,19) ? Akhab a donc toute raison de rapporter à Jézabel ce qui s’est advenu des fonctionnaires placés sous sa protection. Encore une fois je note que le roi s’intéresse bien au sort des prophètes de Baal, tandis que la persécution des prophètes de Yahvé ne semble pas le toucher [93]. On en conclut que le roi est du côté de son épouse, mais c’est elle qui donne le ton.

Les paroles de Jézabel sont introduites par un serment (v. 2). L’acte même que Jézabel prononce un serment la rapproche d’Élie qui, avec un serment fait au nom de son Dieu, avait annoncé la sécheresse au roi Akhab. Les paroles de la reine cependant sont assez différentes : ce n’est pas un « חֵי־יְהוׇה » / « vive Yahvé », mais « כֹּֽה־יַעֲשׂ֤וּן אֱלֹהִים֙ וְכֹ֣ה יוֹסִפ֔וּן » – de nouveau Chouraqui est le plus précis à traduire : « ainsi les Elohims feront et ainsi ils ajoutent ». La reine se réfère non pas à Dieu au singulier, mais aux dieux au pluriel. Le texte laisse donc (de nouveau) entendre qu’elle est polythéiste, et on pourrait déduire du fait qu’elle a persécuté les prophètes de Yahvé que son serment n’inclut pas le Dieu d’Israël. L’image de Jézabel comme représentante d’un culte autre que celui de Yahvé est renforcée[94], ainsi que l’antithèse qu’elle représente vis-à-vis de la veuve : cette étrangère phénicienne s’était servie, dans son dialogue avec Élie, d’un serment au nom de « Yahvé ton dieu » pour affirmer qu’elle n’avait plus rien à manger (1 Rois 17,12). Une autre antithèse s’y ajoute quand on poursuit la lecture du ch. 19 : un messager de YHWH veille à ce que les forces reviennent au prophète qui s’était assis sous un genêt et demandait la mort de son « énergie vitale » (נפשׁ ; 19, 4), tandis que le messager de Jézabel arrive avec la menace d’enlever la vpn. En revanche, le messager de Yahvé est rapproché de la veuve sidonienne qui, comme lui, a préparé une cruche d’eau et une galette de pain (cf. 1 Rois 19,6 et 17,12-16).

Depuis une perspective de post-colonialisme, l’histoire de Jézabel semble affirmer les dichotomies, les projections de l’autre, mais aussi la violence perpétuée. Est-ce que c’est tout ? Rappelons une relecture de la grande exégète féministe nord-américaine Phyllis Trible qui a montré que le cycle d’Élie est marqué par « an odd couple », un couple étonnant et étrange à la fois, le couple Élie-Jézabel [95]. Tous les deux sont identifiés par leur Dieu ; Élie / Élyahou, dont le nom est composé du nom générique « El » / « dieu » et le nom divin « Yahou » ; Jézabel qui évoque, avec son nom, Baal « le prince ». Tous les deux sont montrés pataugeant dans le sang, le sang de prophètes du « faux » dieu ; tous les deux réclament du pouvoir, pouvoir dans les affaires du culte, avec des implications sur la politique de l’État. Tous les deux disparaissent de la scène et du récit d’une manière spectaculaire, jusqu’à l’invisibilité : Élie qui est pris par son dieu dans un char de feu (2 Rois 1,11-12) [96], Jézabel dont le corps est morcelé de sorte qu’on ne pourra même pas lui donner la sépulture (2 Rois 9,33-37). L’une est le miroir de l’autre, l’un est l’image faussée de l’autre. Peut-être, en reprenant ces observations de Phyllis Trible, on pourra dire que le texte biblique montre l’impasse d’une violence, d’une hostilité, d’une simple dichotomie continue et qu’il encourage, au moins d’une manière e negativo, à chercher des espaces au-delà.

« Au lieu » d’une conclusion

Le midrash de Rabbi Éliézer [97] dessine peut-être une troisième voie, ouverte sur un thirdspace. Au ch.17 des Pirqe de Rabbi Éliézer, on lit [98] :

« Comment savons-nous qu’il faut prodiguer du réconfort aux endeuillées ? Grâce à Jézabel, la fille d’Ethbaal. Son palais donnait sur la place du marché et, lorsq’un cortège funéraire venait à passer, elle quittait sa demeure, frappant des mains, la bouche pleine de lamentations, et elle le suivait sur dix pas. À son sujet, Élie, de mémoire bénie, prophétisa : “Les chiens mangeront la chair de Jézabel” (2 Rois 9, 36). Mais, sur les membres qui auront servi à prodiguer la générosité, les chiens ne domineront pas, ce qu’exprime : “Ils allèrent pour l’enterrer, mais ils ne trouvèrent d’elle que le crâne, les pieds et les paumes des mains” ([2 Rois 9], 35). »

Le midrash reprend la note sur la fin honteuse de Jézabel. Au lieu d’y voir la totalité de la punition, il insiste sur ce qui reste du corps de la reine : ces restes indiquent qu’il y avait des traces d’humanité en elle, faisant d’elle un modèle d’amour bienveillant.

 


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[1] Texte retravaillé à partir de la troisième conférence donnée à l’École Pratique des Hautes Études (ÉPHÉ), Paris, en mai 2014, en qualité de directeur d’études invitée (DÉI), sur le cycle d’Élie en perspectives de genre/gender. La quatrième conférence (Le « monothéisme » d’Élie en perspectives de « genre ») ne sera pas publiée ; certains aspects du sujet sont intégrés dans le présent article. Merci à Mme le Pr. Hedwige Bonraisin-Rouillard et Mme le Pr. Maria Grazia Masetti-Rouault pour l’invitation. Merci à M. Xavier Lafontaine qui a relu et retravaillé le texte français.

[2] Cf. Wacker, Marie-Theres, Homme sauvage et femmes étrangères. Le Cycle d’Élie (1 Rois 17- 2 Rois 2) en perspectives de « genre » / gender (I-II), dans : lectio difficilior 2 (2014) (en ligne).

[3] Les suggestions du Manuel d'écriture inclusive (Mots-Clés, 2016) visant à assurer une égale représentation des sexes ont été adoptées : recourir au point milieu (ou médian) pour composer les mots, suivant ce principe : base du mot + suffixe masculin + [point milieu] + suffixe féminin (+ [point milieu] + s pour le pluriel).

[4] Aujourd’hui un des départements d’outre-mer.

[5] Fanon, Frantz, Peau noire, masques blancs, Paris, Le Seuil 1952.

[6] Fanon, Frantz, L’An V de la révolution algérienne, Paris, Maspero 1959.

[7] Fanon, Frantz, Les damnés de la terre, Paris, Maspero 1961 (avec préface de J.-P. Sartre).

[8] Edward Said, L’Orientalisme : L'Orient créé par l’Occident, [Orientalism, 1978], traduction de Catherine Malamoud, préface de Tzvetan Todorov, Paris, Le Seuil, 1980.

[9] Bhabha, Homi, Framing Fanon, dans: Fanon, Frantz, The Wretched of the Earth, New York 2005, vii-xli. Cf. son œuvre-clé : Bhabha, Homi, The Location of Culture, Londres: Routledge 1994; Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007. Cf. aussi: Babka, Anna / Posselt, Gerald (éd.s), Homi Bhabha, Über kulturelle Hybridität. Tradition und Übersetzung. Übersetzt von Katharina Menke, Vienne : Turia + Kant 2012 (conférence d’H. Bhabha donnée à Vienne, précédée d‘une introduction à la pensée de l’auteur).

[10] Bhabha 1994/2007; ch. 4.

[11] Spivak, Gayatri Chakravorti, Can the Subaltern Speak?, dans: Nelson, Cary /  Grossberg, Lawrence (éd.s), Marxism and the Interpretation of Culture, Chicago, University of Illinois Press 1988, 271-313 ; Les subalternes peuvent-elles parler?, Paris : Édition Amsterdam 2009. L’étude est reprise, élargie et quelquefois modifiée dans : Spivak, Gayatri Chakravorty, A Critique of Postcolonial Reason: Toward the History of the Vanishing Present, Cambridge, MA: Harvard University Press 1999, 198-311.

[12] Il convient de signaler et de recommander la lecture de l’article de Valérie Nicolet, qui donne une introduction aux fondements d’une approche postcoloniale en exégèse, centrée sur le Nouveau Testament : Nicolet-Anderson, Valérie, « Introduction aux théories postcoloniales dans le domaine biblique », dans : ThéoRhèmes 4 (2013) (en ligne). À l’époque (2013), les études concernant l’A.T. n’étaient pas encore nombreuses ; l’auteure le remarque justement. Aujourd’hui (2019), la situation a nettement changé. Auprès d’Oxford University Press, un manuel d’études postcoloniales en exégèse biblique est en voie d’être réalisé : Sugirtharajah, Rasiah S. (éd.), The Oxford Handbook of Postcolonial Biblical Criticism. L’article concernant les études féministes a déjà paru en ligne récemment: Scholz, Susanne, « Postcolonial Biblical Criticism and Feminist Studies », 23 pages.

[13] Cf. Sugirtharajah, Rasiah S., Asian Biblical Hermeneutics and Postcolonialism. Contesting the Interpretations, Sheffield : Phoenix Press 1998 ; id., Postcolonial Criticism and Biblical Interpretation, Oxford : University Press 2002 ; id., The Bible and Empire. Postcolonial Explorations, Cambridge, UK : University Press 2005 ; id. : Jesus in Asia, Cambridge, MA : Harvard University Press 2018.

[14] Cf. Segovia, Fernando, Decolonizing Biblical Studies. A View from the Margins, Maryknoll, NY : Orbis 2000.

[15] Cf. en particulier: Dube, Musa W., Postcolonial Feminist Interpretation of the Bible, St. Louis, Miss. : Chalice Press 2000.

[16] Cf. en particulier: Bailey / Randall, Liew, Tat-siong Benny / Segovia, Fernando (éd.s), They Were All Together in One Place? Toward Minority Biblical Criticism. Atlanta, GA : SBL PRess 2009.

[17] Cf. Liew, Tat-siong Benny, « Introduction: Intervening on the Postcolonial », dans: id. (éd.), Postcolonial Interventions. Essays in Honor of R. S. Sugirtharajah, Sheffield : Phenix Press 2009, 1-24, 4sqq.

[18] Yee, Gale A., Coveting the Vineyard : An Asian American Reading of 1 Kings 21, dans : Brenner-Idan, Athalya / Lee, Archie (éd.s), Samuel, Kings, and Chronicles, Vol. 1 (texts @ contexts), Londres e.a. : Bloomsbury T&T Clark 2017, 46-64.

[19] On mentionnera notamment Jeremy Punt, avec ses études des épitres pauliniennes; cf. Punt, Jeremy, Postcolonial Biblical Interpretation. Reframing Paul, Leiden : Brill 2015.

[20] Cf. p. e. Davidson, Steed Vernyl, Empire and Exile: Postcolonial Readings of the Book of Jeremiah (The Library of Hebrew Bible (OT Studies 542), Londres e.a. : Bloomsbury 2011 ; Maier, Christl M. / Sharp, Carolyn (éd.s.), Prophecy and Power. Jeremiah in Feminist and Postcolonial Perspective (The Library of Hebrew Bible (OT Studies 577), Londres e.a. : Bloomsbury 2013.

[21] Cf. pour le livre d’Esther grec (LXX) Stone, Meredith J., Empire and Gender in LXX Esther (Early Judaism and Its Literature 48), Atlanta, GA : SBL Press 2018; cf. aussi Wacker, Marie-Theres, « The violence of power and the power of violence: Hybrid, contextual perspectives on the Book of Esther », dans: Sharp, Carolyn J. / Claassens, L. Juliana (éd.s), Feminist frameworks and the Bible. Power, ambiguity, and intersectionality (Library of Hebrew Bible / OT Studies 630), London, Oxford e.a.: Bloomsbury 2017, 99-115.

[22] Segovia, Fernando / Sugirtharajah, Rasiah S. (éd.s), A Postcolonial Commentary on the New Testament Writings, Londres : T&T Clark 2007.

[23] Gossai, Hemchand (éd.), Postcolonial Commentary and the Old Testament, Londres, New York e.a. : Bloomsbury 2018. Outre une contribution sur l’histoire de Solomon (1 Rois 3-11) les livres des Rois ne sont pas inclus.

[24] Description donnée par Sylvie Parizet pour caractériser « la littérature et les arts des pays qui ont subi le joug des grandes puissances occidentales » et leur réception de la Bible, pour elle objet d’études comparatistes en littérature. La description s’applique bien aux études bibliques/exégétiques aussi. Cf. Parizet, Sylvie, « La Bible et les littératures postcoloniales : un champ à explorer pour le comparatisme ? », dans : Revue de littérature comparée 2016/4 (n° 360), 397-402, 397.

[25] Sous la direction de Fernando Segovia.

[26] Dube, Reading the New Testament in the HIV& AIDs contexts (en ligne).

[27] Une autre théologienne d’origine de Botswana, Masego Makuruetsa, s’inspire de ses travaux et propose une lecture de la rencontre entre la veuve de Sarepta et Élie suivant le récit de 1 Rois 17 à la lumière de la problématique du HIV/SIDA, Cf. Makuruetsa, Masego M., « ‘En zij hield hem in haar schoot’. Een afrikaans feministische lezing van 1 Koningen 17 tegen de achtergrond van de hiv/aids problematiek’ » dans : Theologisch debat 2/déc. (2005), 49-54. La première note de l’article informe qu’il s’agit une thèse de master à Kampen (Pays-Bas), rédigée en anglais, que Klaas Spronk (probablement le directeur de recherche) aurait résumée en néerlandais. Ce simple détail linguistique montre déjà les difficultés auxquelles sont confrontées les théologien·n·es africain·n·es, en particulier jusqu’à ce que leurs pensées soient communiquées et entendues dans les discours hégémoniques des universités occidentales.

[28] Il faut noter que le terme de « féminisme » n’est pas accepté unanimement ; quelquefois, des exégètes africaines adoptent des termes provenant de leur contexte : cf. p.e. la contribution de Makhosazana Nzimande citée plus bas.

[29] Cf. Dube, Musa (éd.), Other Ways of Reading. African Women and the Bible. Atlanta, GA 2001, et: Dube, Musa W. / Mbuvi, Andrew A. / Mbuwayesango, Dora (éd.s), Postcolonial Perspectives in African Biblical Interpretations (Global Perspectives on Biblical Scholarship 13), Atlanta, GA : SBL Press 2012.

[30] Cf. le cahier de la revue internationale Concilium 49/2 (2013): Haker, Hille /Susin, Luiz Carlos / Metogo, Éloi Messi (éd.s), Postkoloniale Theologie (aussi en anglais, italien, espagnol, portugais et serbo-croate).

[31] Dube, Musa, « ‘And God Saw that it was Very Good’: An Earth-Friendly Theatrical Reading of Genesis 1 », in: Black Theology 13/3 (2015) 230-246.

[32] Cf. Dube 2000, 57 (traduit par MTW).

[33] Dube 2000, ch. 4 (en particulier 58-70); cf. Wacker, Marie-Theres, « Der Exodus-Landnahme-Zusammenhang und die Figur der Rahab (Jos 2, 1-24+6, 17.22-25) – postkoloniale Perspektiven », dans: Ballhorn, Egbert (éd.), Das Buch Josua und seine Kontexte, Stuttgart: Kath. Bibelwerk 2019, paragraphe 2 (en préparation).

[34] Le texte donné suit la traduction d’André Chouraqui (cf. http://nachouraqui.tripod.com/id78.htm), avec de petites retouches pour faire ressortir les enchainements entre les versets. Dans certains cas, les traductions de la Traduction œcuménique (TOB) et de la Bible de Jérusalem (BJ) seront ajoutées.

[35] Cf. les réflexions pertinentes par Ojwang, Gilbert Okuro, « Juridical Impotence in the Naboth Story in the Context of Kenya’s New Land Laws », dans : Brenner / Lee 2017, 65-94.

[36] Cf. p.e. Hentschel, Georg, Die Elijaerzählungen. Zum Verhältnis von historischem Geschehen und geschichtlicher Erfahrung (Erfurter Theologische Studien 33), Leipzig: St. Benno-Verlag 1977, 14-43 ; Würthwein, Ernst, Die Bücher der Könige : 1 Kön 17 – 2 Kön 25 (ATD 11,2), Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht 1984, 245-253.

[37] Avec la distinction entre plusieurs « unités littéraires », mais avec des éléments à distinguer du point de vue de l’histoire de la transmission (« Überlieferungsgeschichte ») : Pruin, Dagmar, Geschichten und Geschichte. Isebel als literarische und historische Gestalt (OBO 222), Fribourg/Suisse : Academic Press et Göttingen 2006 : Vandenhoeck & Ruprecht, 202-212, 209. Le commentaire de Winfried Thiel, qui est le plus récent sur le cycle d’Élie, n’est pas aussi clair que Pruin, mais semble aller dans la même direction : cf. Thiel, Winfried, Könige, BK.AT IX,2, Neukirchen : Neukirchener Verlag 2000 sqq., fasc. 2,6-7 (2014) et 2,8 (2016) 446-596, en particulier 475-76. Il donne, aux pp. 472-475, un rapport détaillé des recherches concernant développement littéraire de 1 Rois 21.

[38] Cronauer, Patrick, The Stories about Naboth the Jezreelite. A Source, Composition, and Redaction Investigation of 1 Kings 21 and Passages in 2 Kings 9 (Library of Hebrew Bible/OT Studies 424), New York / Londres: T&T Clark 2005, en particulier 182-185 et ch. 16 (186-198).

[39] Werlitz, Jürgen, Die Bücher der Könige (Neuer Stuttgarter Kommentar Altes Testament 8), Stuttgart : Kath. Bibelwerk 2002, 189-194. Il parle d’une « composition tardive » (« späte Bildung »), sans spécifier la date (qui n’est pas antérieure aux rédactions deutéronomistes de toute façon).

[40] Cette tradition est bien documentée par le cas des filles de Çelophehad qui demandent leur héritage (même terme  נַחֲלָהque dans 1 Rois 21,3), et auxquelles est imposé la condition qu’elles ne se marient pas avec des hommes d’un autre tribu que le leur, pour que l’héritage de leur père reste héritage du tribu : Nombres 36,1-12. Il est vrai que l’âge de cette tradition n’est pas assuré, mais le récit présuppose que la raison donnée par Nabot n’est pas une invention spontanée.

[41] Le terme désigne souvent le temple de YHWH (p.e. 1 Samuel 1,9; 2 Rois 18,16; Zacharie 6,12-13) ou la partie centrale du temple (1 Rois 6,3); en Amos 8,3 le « palais » du roi de Samarie, comme en 1 Rois 21. Un pourra y voir la confirmation que le temple était considéré comme un « palais » de YHWH ou, inversement, que YHWH était conçu comme « roi », comparable aux dieux-rois de l’Ancien Orient. La supposition de la puissance/du pouvoir divin est à l’arrière-plan de presque tous les textes bibliques.

[42] La tournure hébraïque סַר וְזָעֵף ne se trouve qu’ici et en 1 Rois 20,43. BJ : sombre et irrité ; TOB : sombre et contrarié. En imitant l’assonance on pourrait traduire par „maussade et morose“.

[43] Comme dans mon premier article (Homme sauvage I-II) je suivrai, pour les noms, l’orthographe de la TOB (Akhab; Jézabel).

[44] Cf. Wacker 2014, paragraphe II.1.

[45] La collection de Dube / Mbuvi / Mbuwayesango 2012 inclut, sous son titre général de « Postcolonial perspectives in African Biblical interpretations », une contribution du spécialiste  sud-africain de l’AT, Elelwani Farisani, sur une traduction de la Bible en langue tshivenda (une des 11 langues officiellement reconnues comme langues nationales de l’Afrique du Sud): Farisani, Elelwani B., « Ideology, History, and Translation Theories: A Critical Analysis of the Tshivenda Bible Translation of 1 Kings 21:1–16 » dans : Dube / Mbuvi /  Mbuwayesango 2012, 199-217. Farisani offre une traduction de 1 Rois 21,1-16 en tshivenda en critiquant la traduction de la Société Biblique sud-Africaine de 1936. Un des principes clé pour lui est « l’inculturation » du texte biblique dans le contexte de ceux et celles qui parlent la langue concernée. Le tshivenda connaît des tournures exprimant du respect envers la cour royale. Farisani recommande de s’en servir, p. e. de traduire la „maison“ du roi en 21,4 avec un mot tshivenda désignant la maison royale, ou d’utiliser le terme spécifique pour la cour quand il s’agit de manger, ainsi que de ne pas parler simplement de la « femme » du roi, mais de choisir le mot pour la reine (213-214). Farisani souligne qu’une traduction implique toujours des prises de position herméneutiques. Outre la transposition du texte biblique dans la culture de la langue cible, il plaide pour une traduction inclusive : « translation should be used to undermine sexist language and patriarchal thought patterns » (215) – principe similaire à un des critères adoptés par la Bibel in gerechter Sprache allemande. Le sujet des traductions bibliques est vaste et ne pourra pas être développé ici. Signalons seulement que dans un projet de décoloniser la Bible et d’aller vers une Bible postcoloniale, la langue est un facteur crucial.

[46] Cf. Wacker 2014, paragraphe II.1 (2). Rappelons que d’après les analyses de David Clines, la parole persuasive est un élément marquant la masculinité biblique, mais non pas de façon exclusive.

[47] Marjo C. A. Korpel a renouvelé l’hypothèse, déjà énoncée en 1964 par Nahman Avigad, qu’un sceau de style égyptien avec les lettres יזבל en écriture paléohébraïque puisse être attribué à Jézabel. Cf. Korpel, Marjo C., « Seals of Jezebel and other women in authority », dans : Journal for Semitics 15/2 (2006) 349-371, en particulier 358-362. Ce serait d’autant plus significatif qu’elle est présentée dans le récit de 1 R 21 comme la reine qui utilise le sceau du roi. Voir cependant aussi les doutes concernant l’attribution du sceau en question à la reine Jézabel historique : Rollston, Christopher, « Prosopography and the יזבל Seal », dans : Israel Exploration Journal 59/1 (2009) 86-91.

[48] Würthwein 1984, 251 défend l’idée que 21,1-16 est une « nouvelle » (=bref récit) ancienne qui aurait comme sujet le déclin des ordres traditionnels du droit en Israël et qui se termine sur une note désespérée. J’avoue avoir du mal à imaginer une telle nouvelle. Le fait que son langage, à la différence des vv. 21-29, n’est pas deutéronomiste s’expliquerait aussi s’il s’agissait d’une « composition tardive » comme le dit Werlitz et comme le défend Cronauer.

[49] Thiel 2014/2016, 521 signale que la formule de Nabot חָלִילָה לִּי מֵיהוָה se sert de la racine חלל « profaner » : „Demnach dürfte der Ausdruck umschreiben, dass den Sprechenden die bezeichnete Handlung kultisch disqualifiziert, ihn von Gott trennt“. Lue dans la perspective des vv. 17-19, l’évocation/invocation de YHWH gagne du poids.

[50] Pourrait-on en conclure que le texte ait évolué, d’un récit centré sur le roi seul, au récit où Jézabel intervient ? C’est ainsi qu’on pourrait expliquer encore une autre tension du récit, à savoir le fait que la parole de Dieu revient sur le meurtre seul sans mentionner le faux témoignage, expédient auquel a eu recours Jézabel. Il est vrai que ces tensions s’expliquent aussi bien si l’on admet que le récit 21,1-16 est plus jeune que les paroles prophétiques en 21,17-19, comme le fait Cronauer.

[51] La formule aux vv. 21,21-22 reprend et correspond à 1 Rois 14,10-11 ; cf. aussi 1 Rois 16,3-4.

[52] Déjà sa première apparition en scène (1 Rois 17,1) présente le prophète qui parle au nom de YHWH sans utiliser la formule « ainsi parle YHWH » ; ensuite, c’est YHWH qui le prend sous ses ailes protectrices et lui fournit d’alimentation (17,2 sqq.). À mentionner aussi, la prière d’Élie lors du combat avec les prophètes de Baal (18,36-37). De plus, le ch. 19 presque en entier (sauf 19,1-12 et 19,19-21) montre Élie « en route » avec son Dieu. Sur ce texte, voir en particulier Vogels, Walter, Élie et ses fioretti. 1 Rois 16, 29 – 2 Rois 2, 18 (lectio divina), Paris: Éd. du Cerf, 2013, 119-133.

[53] La tournure לַיהוָ֣ה אֱלֹהֵ֣י צְבָאוֹת se trouve quatre fois au live des Rois, trois fois dans le cycle d’Élie et, les trois fois, dans une parole du prophète (1 Rois 18,15 ; 19,10.14). La quatrième référence est une parole d’Élisée qui reprend mot par mot la formule de son maître Élie (2 Rois 3,14 = 1 Rois 18,15). Dans l’univers textuel des livres des Rois l’épithète « Sabaoth » est donc étroitement liée au personnage d’Élie, marquant sa perspective à lui. Voir, à propos d’Élie, le « mâle guerrier », Wacker 2014, II. (1). – Le « zèle » d’Élie n’est pas (encore) un « zèle » monothéiste. C’est tout d’abord le zèle d’un homme-prophète saisi de son dieu qui, d’après les récits en 1 Rois 17-2 R 2 aurait voulu imposer l’adoration de YHWH seul au royaume d’Akhab et de Jézabel. Le récit du ch. 18 sur la compétition des prophètes inclut des éléments de moquerie qui visent à priver le dieu Baal de son pouvoir (prétendu) ; YHWH est installé comme le seul dieu ou le dieu unique qui compte en Israël. Mais l’horizon du cycle d’Élie ne comprend pas (encore) les défis auxquelles la confrontation avec les empires assyriens et babyloniens a mené les théologiens-prophètes en Israël. Pour une histoire du monothéisme dans l’Israël ancien cf. Römer, Thomas, L’invention de Dieu, Paris : Seuil 2014 (qui se concentre toutefois surtout sur les développements liés au royaume du Sud et à Jérusalem).

[54] La formule ne se trouve que dans ces deux versets.

[55] Juges 1,21.27-29.32-33; 11,23f; Josua 13,13; 16,10; 17,13; 1 Rois 14,24; 21,26; 2 Rois 16,3; 17,8; 21,2; cf. Nombres 32,21; 2 Chronique 20,7.11; 33,2; Psaume 44,3.

[56] Cf. Wacker, Marie-Theres / Wainwright, Elaine (éd.s), « Landkonflikte – Landutopien », Concilium 43/2 (2007) ; aussi en anglais, espagnol, italien, portugais.

[57] Nzimande, Makhosazana, « Reconfiguring Jezebel : A Postcolonial imbokodo Reading of the Story of Naboth’s Vineyard (I Kings 21:1-16) », dans : Hans de Wit, Gerald West, (éd.s), African and European Readers of the Bible in Dialogue : in Quest of a Shared Meaning (Studies of Religion in Africa 32), Leiden : Brill 2008, 223-258. Je remercie Mme Stephanie Feder, Cologne, de m’avoir signalé cette publication.

[58] Cronauer 2005, 107-109 et 190-193 signale des parallèles entre 1 Samuel 11-12 et l’histoire de Nabot mais pour montrer que 21,17-29 seraient construit d’après un schéma à trouver en 1 Samuel 11-12. Il souligne donc un lien rédactionnel, tandis que, en ce qui me concerne, depuis la perspective du genre/gender, c’est un lien analogique de métaphore qui saute aux yeux.

[59] Traduction d’André Chouraqui (cf. http://nachouraqui.tripod.com/id78.htm).

[60] On reviendra sur la question de l’« Ashérah » ci-dessous, 4.3 (1 Rois 18).

[61] Pruin 2006, 52 propose une explication du nom qui le prend comme abréviation de בעליזבל, nom punique documenté signifiant « Baal porte », soulignant ainsi la portée du nom pour le récit (il s’avère précisement que « Baal ne portera pas »).

[62] Flavius Josèphe, dans son grand compte-rendu de l’histoire des Juifs, fait construire à Jézabel elle-même un temple de Baal entouré d’un bosquet (certainement en référence à l’Ashérah que les LXX rendent comme ἆλσος – bosquet). Cf. Josephus, Antiquités VIII,13.1.

[63] Steinmann, Jean, « La geste d’Élie dans l’Ancien Testament », dans : Bardy, Gustave / Boismard, Marie-Émile e.a., Élie le prophète, t. 1, Bruges e.a. : Desclée de Brouwer 1956, 93-115, ici : 95.

[64] Nzimande 2008.

[65] Nzimande 2008, 224.

[66] Nzimande 2008, 239-243 rappelle deux reines africaines, une de la nation des Zoulous, l’autre des Swasi.

[67] Nzimande 2008, 248.

[68] Nzimande 2008, 249; Dube 2000, 150-153.

[69] Nzimande 2008, 248.

[70] Nzimande 2008, 249.

[71] C’est un point de vue qui est aussi souligné par Ilse Müllner dans sa relecture des récits bibliques sur Jézabel, cf. : Müllner, Ilse, « Bad Women. Isebel, Athalja, die Macht und das Böse », dans : Kuhlmann, Helga / Schäfer-Bossert, Stefanie (éd.s), Hat das Böse ein Geschlecht? Theologische und religionswissenschaftliche Verhältnisbestimmungen, Stuttgart : Kohlhammer 2006, 151-161.

[72] Il me semble que les réflexions de Farisani vont dans ce sens; cf. Farisani, Elelwani, « The ideological biased use of Ezra/Nehemiah in a quest for an African theology of reconstruction », dans : Old Testament Abstracts 15/3 (2002) 628-646.

[73] Dans son livre de 1998 (A Critique of Postcolonial Reason), elle affirme d’un part que la Rani de Sirmur n’est pas une subalterne (au sens stricte). Spivak ajoute, cependant (p. 308) : « Part of what I seem to have argued in this chapter is that woman’s (sic!) interception (sic!) of the claim to subalternity can be staked out across strict lines of definition by virtue of their muting by heterogeneous circumstances ».

[74] L’exégèse historico-critique a fait des efforts pour reconstruire quelques traits de la Jézabel historique. Cf. en particulier l’étude soigneuse et exemplaire pour la méthode de Dagmar Pruin (Pruin, 2006).

[75] Cela vaut aussi pour 1 Rois 9-10.

[76] Wacker 2014, I.1 ; cf. Wacker, Marie-Theres, « 1. Könige 17,7-24 (Lukas 4,16-30) : Eine Frau findet den Gott der Armen », dans : Schmidt, Eva-Renate e.a. (éd.s), Feministisch gelesen. Ausgewählte Bibeltexte für Gruppen und Gemeinden, Gebete für den Gottesdienst, Vol. 2, Stuttgart : Kohlhammer 1989, 127-137.

[77] En plus, à l’époque existait un conflit de principe parmi les théologiennes féministes de langue allemande entre celles qui optaient pour un « féminisme d’égalité », de droits égaux pour les femmes et les hommes, et celles qui prônaient un « féminisme matriarcal », vision d’une société marquée par les femmes et la grande déesse. Pour le féminisme matriarcal, Jézabel était le modèle d’une femme-déesse que la haine des deutéronomistes aurait déformée. Cf. p.e. encore : Monheim, Marga, « Isebel – die verleumdete Göttin », dans : Pitzen, Marianne / Franke, Julitta / Monheim, Marga (éd.s), Isebel – die Gegenspielerin des Propheten Elija. Bonn : Verlag Frauen-Museum 1998, 15-26. Cette manière de voir l’idéologie des deutéronomistes m’a paru simpliste et la construction d’un « matriarcat » m’est parue une vision féministe peu satisfaisante, ce qui m’a empêché, à l’époque, de suivre cette piste. Aujourd’hui je dirais : « Vérifiez tout ; ce qui est bon, retenez-le ! » Cf. maintenant surtout McKinlay, Judith, « Jezebel and the Feminine Divine in Feminist Postcolonial Focus », dans: Claassens, L. Juliana / Sharp, Carolyn J. (éd.s), Feminist Frameworks and the Bible: Power, Ambiguity, and Intersectionality, Londres: Bloomsburg 2017, 59-78.

[78] Il semble que dans les cycles d’Élie et Élisée un sujet disputé est en effet la relation des non-israélites à l’égard de YHWH. Un récit parlant est celui de l’Araméen Na’aman qui se trouvé guéri de lèpre par un prophète de YHWH et qui désire adorer ce dieu chez lui à Damas tout en maintenant les rites qu’il est obligé de pratiquer pour son roi, devant le dieu principal de la cité, Hadad-Rimmôn (2 Rois 5).

[79] Cf. le titre de la contribution de Crowell, Bradley L., « Good girl, bad girl : Foreign women of the Deuteronomistic history in postcolonial perspective”, dans: Biblical interpretation, 21/1 (2013) 1-18. Crowell donne une esquisse instructive concernant l’exégèse postcoloniale qui porte sur quatre figures féminines construites comme modèles ou types entre malveillance et collaboration - Rahab, Delila, la nécromancière en 1 Samuel 28 et Jézabel - mais ne développe pas le contraste entre Jézabel et la veuve. Je reviendrai sur son article par la suite.

[80] Rappelons que, d’après 1 Rois 16,33 Akhab aurait érigé une Ashérah, le terme d’Ashérah désignant plutôt un objet de culte à côté de l’autel de Baal. L’historiographie deutéronomiste ne semble pas préoccupée par la précision de son compte-rendu ; sa rhétorique montre l’intention de dénigrer les cultes des dieux autres que Yahvé, peut-être même de condamner, en les projetant sur les « dieux étrangers », certaines traditions cultuelles qui faisaient partie du culte de Yahvé même (p.e. une Ashérah à côté de l’autel de Yahvé ; cf. Deutéronome 16,21). Cf. aussi les bénédictions au nom de Yahvé et de son Ashérah, comme on les trouve à Kuntillet Ajrud et à Khirbet el Qom; traduit en français dans Römer 2014, 216-221.

[81] Dube 2000, 107.109 concernant Rahab.

[82] Stephanie Wyatt, « Jezebel, Elijah, and the Widow of Zarephath : A ménage à trois that Estranges the Holy and Makes the Holy the Strange », dans : JSOT 36/4 (2012) 435-458, essaie de voir la veuve et la reine comme une seule figure à double face (comme Janus), insistant sur le fait que la veuve est désignée comme « ba’alat » en 1 Rois 17,17, ce qui la fait rassembler à Jézabel, adoratrice de Baal. J’avoue que son argument me paraît peu convaincant, bien que je partage son effort de montrer que les délimitations de l’ « étranger » et du « propre », du « soi » et du « non-soi » commencent à bouger en 1 Rois 17.

[83] Cf. les analyses approfondies de McKinlay, Judith, « Reading Jezebel », dans : id., Reframing Her. Biblical Women in Postcolonial Focus, Sheffield : Phoenix Press 2004, 57-78.

[84] Cela vaut pour la version massorétique. Il en est différent de la LXX dans laquelle ce récit se lit après le ch. 19MT de sorte que ch. 20MT s’ajoute au ch. 22.

[85] La tournure בְּנֵי־בְלִיַּעַל se trouve seulement en Deutéronome 13,14; Juges 19,22; 20,13; 1 Samuel 2,12; 1 Rois 21,10.13 et 2 Chroniques 13,7.

[87] Cf. la loi du roi en Deutéronome 17,14-20, ici : v. 15.

[88] Cf. Keel, Othmar, « Ägyptische Baumgöttinnen der 18.-21. Dynastie. Bild und Wort, Wort und Bild », dans : id., Das Recht der Bilder gesehen zu werden (Orbis Biblicus et Orientalis 122), Fribourg : Universitätsverlag / Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht 1992, 61-138.

[89] Cf. p.e. Lang, Bernhard, Drewermann, interprète de la Bible: le paradis, la naissance du Christ, Paris: du Cerf 1994, ch. II.3, 63-68 ; Sweeney, Marvin A., Tanak. A Theological and Critical Introduction to the Jewish Bible, Philadelphia: Fortress Press 2012, 58-61, en particulier 60.

[90] Le récit de la mort de Jézabel, raconté en 2 Rois 9-19, ne fait plus partie du cycle d’Élie et ne sera pas discuté ici. Une étude très détaillée et riche recourant aux théories féministes, postcoloniales et queer se trouve dans Létourneau, Anne, Femmes étrangères dans la bible hébraïque : de la douceur du nourrir à la violence du mourir, Thèse. Montréal 2015 (en ligne), 401-553.

[91] Würthwein 1984, 252 (traduit par MTW).

[92] Crowell 2013, 11-13 avance l’hypothèse que la figure de Jézabel correspond à un type de figures féminines caractéristique des littératures coloniale ou postcoloniale, le type de la « vilaine fille », et qu’on peut décrire la figure de Jézabel comme l’expression d’un « mimikry colonial » (cf. mes remarques relatives à Bhabha, plus haut, 1.3): les auteurs bibliques auraient emprunté des perspectives coloniales pour dessiner la figure de la reine comme un « super power » écrasant, en se présentant eux-mêmes sous le joug de ce pouvoir. Dans le raisonnement de Crowell, la sexualisation de la figure féminine joue un rôle décisif. Il est vrai que dans les sections textuelles sur Jézabel, on trouve des éléments sexualisants. Plus haut j’ai signalé la chambre à coucher comme lieu de décision royale. Crowell fait référence au maquillage des yeux (2 Rois 9,30). Là, il s’agit probablement plutôt d’un signe de la position élevée de Jézabel – mais en effet en Jeremiah 4,30 et Ezekiel 23,40 le maquillage des yeux est mentionnée dans un contexte qui accuse la femme de séduction et d’adultère. Le N.T., assez critique sur les ornements des femmes (1 Timothée 2,9), encourage également une réception sexualisante. En ce qui concerne la sexualisation de Jézabel, on peut aussi se référer à 2 Rois 9,22, où Jéhu reproche à Joram « les prostitutions de ta mère Jézabel et ses nombreux sortilèges » (BJ ; זְנוּנֵ֞י אִיזֶ֧בֶל אִמְּךָ֛ וּכְשָׁפֶ֖יהָ הָרַבִּֽים). Le terme de  זְנוּנִיםest chargé de significations sexuelles et son utilisation pour stigmatiser certains cultes repose sur le dégoût envers des formes de sexualité non hétéronormatives, bien que l’on ne puisse pas en conclure directement que les cultes stigmatisés comprenaient des rites sexuels. Dans son retour sur la vie de Jézabel (2 Rois 9,22), Jéhu ne retient que l’orientation cultuelle de la reine, et il n’est pas étonnant que Jézabel, par le reproche des זְנוּנִים et les כְשָׁפִים, soit rapprochée d’une autre « femme », la personnification de l’abominable ville de Ninive (Nahum 3,4). L’image est reprise dans l’Apocalypse (Apocalypse 2,18-23).

[93] Ovadyahou, le chef du palais royal, avait caché 100 prophètes de YHWH (1 Rois 18,4.13) – est-ce que le roi n’en sait rien, ou laisse-t-il faire son serviteur, contournant ainsi les persécutions organisées par son épouse ?

[94] Je signale ici la version de la Septante, sans pouvoir développer les divergences de cette version pour le texte entier. Le début de 1 Rois 19,2 se lit ainsi :

« καὶ ἀπέστειλεν Ιεζαβελ πρὸς Ηλιου καὶ εἶπεν Εἰ σὺ εἶ Ηλιου καὶ ἐγὼ Ιεζαβελ

Et Jézabel envoya vers Élie et dit : Si tu es Élie (et) moi, je suis Jézabel. »

Cette phrase manque dans le texte hébreu ; elle se retraduit facilement :

אִם־אַתׇּה אֵלִיָּהוּ אֲנִי אִיזֶבֶל

La phrase suppose peut-être un texte différent comme Vorlage pour la Septante, car l’omission ne s’explique pas bien par une faute de scribe. Elle renforce l’opposition entre la reine et le prophète ; elle se lit comme une déclaration de guerre. Voilà la reine qui prend une caractéristique de ce que Clines a détecté comme trait de masculinité hégémonique, et on peut se demander si, dans le contexte hellénistique de la Septante, cela ne contribue à un dénigrement croissant de Jézabel. En tout cas, la version de la Septante aurait intensifié l’opposition entre Jézabel et Élie, elle aurait encore renforcé la polarité, la dichotomie.

[95] Cf. Trible, Phyllis, « Exegesis for Storytellers and Other Strangers », dans : Journal of Biblical Literature 114/1 (1995) 3-19 et : Trible, Phyllis, « The Odd Couple : Elija and Jezebel », dans : Büchmann, Christina / Spiegel, Celina (éd.s), Out of the Garden. Women Writers on the Bible, New York : Fawcett Columbine 1994, 166-179 (texte) + 340-341 (notes).

[96] Ce qui confirme le caractère roi-guerrier du dieu d’Élie.

[97] Cf. Pruin 2006, 353-354.

[98] Smilevitch, Eric / Ouaknin, Marc-Alain, Chapitres de Rabbi Éliézer. Pirqé de Rabbi Éliézer, Paris: Verdier 1992, 105-106.

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Marie-Theres Wacker,

was Professor of Old Testament and Women’s Studies in Theology/Gender research in Theology at the Faculty of Roman Catholic Theology, University of Münster from 1998 to 2018. Her research focus lies in the areas of biblical prophecy, Hellenistic Judaism, the debate about biblical monotheism, biblical hermeneutics with special emphasis on gender, and the Christian-Jewish dialogue.

© Marie-Theres Wacker, 2019, lectio@theol.unibe.ch, ISSN 1661-3317

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